Prologue

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Los Angeles - Février 1988

- Prends juste quelques affaires. Mais s'il te plaît, fais vite. On achètera le reste en chemin ... C'est bon, tu es prête? chuchota-t-il près de la fenêtre.

À la hâte, je bazardai un peu tout ce qui me passait sous la main dans un vieux sac de gym. Le tout, dans la pénombre d'une nuit pas comme les autres. Avec pour seul concours, la clarté d'une demi-lune perçant à travers le voilage.

- J'y suis presque! m'empressai-je de lui répondre.

D'une main tremblante, je remontai la fermeture éclair de mon bagage avec précipitation.

Bien trop de précipitation.

- Aïe! grimaçai-je aussitôt.

Je portai mon doigt à ma bouche, ce goût métallique sur mes lèvres me rappelait plus que jamais ce que je m'apprêtais à fuir ce soir.

Ce cavalier de l'Apocalypse que la Mort en personne lançait à mes trousses.

- Ça va? l'entendis-je murmurer avec angoisse.

- Oui, oui! Je me suis seulement pris le doigt dans la glissière! le rassurai-je à voix basse.

J'essuyai une goutte de sueur qui perlait sur mon front, faisant fi de celles qui coulaient le long de mon échine, et pris une grande inspiration.

Ça y est.

Le moment était venu.

Impossible de faire machine arrière.

- Dépêche-toi. Il faut y aller maintenant​.

Je jetai un dernier coup d'œil à ma chambre.

Mes livres de Jane Austen.

Mes vinyles de Bach ou de Chopin.

Mes affiches du Che, et mes polycopiés d'économie.

Je faisais là le sacrifice de ma vie, simplement pour la garder. La mienne, celle de l'homme que j'aimais, et du fruit de notre amour.

La moiteur de ma main se posa sur mon ventre encore plat.

Un mois.

Un tout petit mois en moi, et l'assurance que tu changerais le monde.

Un tout petit mois en moi, et tu avais déjà changé le mien.

J'esquissai l'ébauche d'un sourire lorsque je fus brusquement saisie par le bras.

Je sursautai.

- Doucement, ce n'est que moi! On y va, le temps joue contre nous.

Chaque minute compte.

Il se saisit de mon baluchon, de tout ce qu'il me restait de mes vingt deux premières années, et lui emboitai le pas, de façon presque mécanique.

Il était temps pour moi de me défaire de cet arcane. De me faire anonyme. Clandestine.

Il enjamba le rebord de la fenêtre, me prit par la taille pour me faire passer de l'autre côté du miroir. J'aurais aimé prendre le temps d'humer l'odeur si particulière de la nuit. Apprécier les effluves de ma liberté.

Mais non. La moindre seconde dans cette maison ne faisait que me rapprocher de l'issue fatale. Alors, je me déplaçai aussi vite que sans bruit sur le toit de l'imposante bâtisse que je quittai sans me retourner. Un dernier saut, et j'atteignis la terre ferme. En bas, sa voiture nous attendait.

Sans plus attendre, j'ouvris la portière, m'engouffrai à l'intérieur. En silence.

- Ça va aller? s'enquérit-il tandis que je bouclai ma ceinture d'un geste mal assuré.

Je me tournai alors vers lui, plongeai dans les ténèbres de ce regard qui m'avait conquise dès l'instant où je l'avais croisé.

- Oui, acquiesçai-je.

Il ne démarrait toujours pas, m'observait avec minutie, comme à la recherche d'un indice qui trahirait mon angoisse.

- Es-tu sûre de toi? Tu signes là tes adieux définitifs à la tranquillité, au confort. À ton identité même. À chaque jour qui se lèvera, tu vivras dans la menace et la peur, jusqu'à en oublier qui tu es. À partir de maintenant, il te traquera sans relâche. Et s'il apprend un jour son existence, il nous tuera. Il nous tuera tous. Tu as encore le choix. Après, il sera trop tard.

Je parcourai du bout des doigts la rugosité de sa joue, la douceur de ses lèvres, et lui sourit.

- Mon choix est fait. Parce que tant que je serai avec toi, rien ne nous arrivera. J'ai confiance en toi.

*****

A double tranchant ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant