Sans nom

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« Il est près de minuit et il ne me reste que peu de temps à vivre... Aussi, j'utilise le calme de la nuit pour écrire cette ultime lettre de mon écriture écrasée. Je vais être direct ; j'en ai assez de ma vie. Elle m'emprisonne, m'entraîne vers le fond, vers les ténèbres... Je dois réagir avant de passer le cap fatidique. Non, je ne compte pas me suicider. Je ne suis pas ce genre d'homme, je ne suis pas un lâche. Je serai un phénix. Je vais mourir mais également renaître.

Toute ma vie, j'ai essuyé des refus : mes parents ne me considéraient pas comme leur fils mais plutôt comme un boulet à leurs pieds (ou un moyen de gagner de l'argent de temps à autre), mes camarades de classe ne m'épargnaient pas et mon premier amour, une étudiante étrangère de passage à l'université, m'a repoussé et humilié devant toute ma fac... Je recevais des coups et des injures à la maison comme en cours. J'étais peu nourri et je m'habillais avec des vieux habits trouvés par ma mère à une boutique de seconde main pour un ou deux billets. On m'a brisé, manipulé, traité comme un indésirable. Ici, je ne suis pas à ma place, je le sais et c'est pour ça que je dois le quitter.

J'ai bien réfléchi. Il faut dire que j'en ai eu le temps : 20 ans... La nuit venue, ce jeudi 6 octobre, je déposerai cette lettre sur la table de la salle à manger, bien en vue. Je refermerai la porte de la maison sur moi et je partirai dans le noir. Mes parents ne me regretteront pas. Ils ne m'ont jamais aimé et cela fait déjà un an que je ne leur rapporte plus rien en allocations familiales. Je ne les nomme pas, eux non plus. Nous sommes de simples cohabitants. Ils ne méritent pas que je m'adresse à eux en « vous » ou que je les appelle « Papa » ou « Maman » ...

Le peu de choses que je possède, je le prends avec moi dans un sac à dos délaissé et épargné par le chien du concierge de notre immeuble. Il ne contient que quelques slips, un ou deux pantalons, des t-shirts et un gros pull troué aux manches. Ma veste est fine, peut-être ne passerais-je jamais l'hiver ? Je ne me préoccupe plus de mon destin. Il m'arrivera ce qu'il doit m'arriver. »

Je me glisse sur la pointe des pieds vers le séjour. L'oreille tendue en direction de la chambre de mes parents et le cœur battant, je pose la lettre pliée en deux sur la table. Avec un peu de chance, ils ne la liront jamais et la jetteront à la poubelle ainsi que les affaires que je laisse derrière moi.

Je ne l'ai même pas signée... Inutile, mon nom n'a pas d'importance. Parce que je suis né un 29 juillet, j'ai reçu le nom générique de Paul, « le faible, le petit » ... Rien que la signification veut tout dire... Sans doute se sont-ils tous dis qu'ils pouvaient se déchaîner sur moi à cause de ça.

Sans un regard en arrière, je sors doucement en prenant soin de bien fermer la porte. Je n'emporte pas mes clés, à quoi me serviraient-elles encore ?

J'habite dans une petite ville en bordure d'une rivière. En automne, il fait souvent très humide et frais. Je souffle. Un nuage opaque s'évapore peu à peu dans l'air glacial de ce mois d'octobre. Je pense que je regretterai ma ville, elle est très jolie... Sans plus m'attarder, je fourre mes mains dans mes poches pour les réchauffer et je commence à marcher au petit bonheur la chance.

À l'aube, je me trouve dans la ville la plus proche, à trente kilomètres de chez moi. Ce n'est pas assez loin. Je continue de marcher. Il est 7 heures quand je parviens à la zone résidentielle. Les gens sortent de chez eux en voiture pour aller travailler. Du coin de l'œil, je reconnais la silhouette de David, le chef de la bande de ma fac qui me persécute. C'est lui qui a entraîné les autres, au départ neutres envers moi, à me tabasser à l'intercours ou aux toilettes.

Discrètement, je me glisse sur l'autre côté du trottoir mais, alors qu'il enjambait sa moto rutilante dont il se vente constamment, il me reconnaît, ce qui n'est pas difficile avec des habits aussi misérables que je porte. Il saute de son engin et se rue vers moi en criant mon nom, son visage taillé à la serpe trahissant pleinement ses intentions.

Recueil de textes en vrac... ^^ (commandes disponibles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant