Alexandre

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— Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

À l'autre bout du fil, Amae ne sait plus quoi dire. Malgré tous ses efforts pour le cacher, je sens bien qu'elle a céder à la panique. Sa voix tremblante ne me trompe pas. Avec le temps, j'ai appris à décrypter chacun de ses gestes, de ses sons et de ses tocs. Je lis en elle comme dans un livre ouvert. Et pourtant, sa confiance en moi s'érode encore et encore.

Tout est de ma faute, je le sais. Pourtant, j'ai voulu changer. J'ai essayé. Après des années de travail, à tenter de me reconstruire moi-même, j'en suis au même point.

Je n'oublierai jamais le regard d'Amae lorsque tout s'est effondré pour la énième fois. Elle n'était pas triste, ni déçue. Comme si elle s'attendait à ce que j'échoue, comme si c'était la seule issue possible.

J'ai eu mal, comme jamais auparavant.

Mais je m'y suis fait.

De toute manière, j'ai bien d'autres soucis pour l'instant.

Je retourne les informations dans tous les sens, encore et encore, à la recherche d'une logique. Elle m'a expliqué rapidement que, pour une raison dite trop compliquée à mes yeux, nous sommes bloqués dans cette prison. Comme des assassins. Elle me sous-estime. Encore ! Je ne connais aucun sentiment plus frustrant que d'être considéré comme un moins-que-rien par sa propre femme. Je suis assez intelligent pour comprendre que nous n'avons plus aucun contrôle sur ce qui nous entoure.

Par réflexe, je me lève pour ouvrir la porte de la salle d'interrogatoire. Bloquée. J'aimerais bien connaître le nom de celui qui s'occupe de la sécurité ici, j'aurais deux-trois mots à lui dire.

Une voix résonne à l'intérieur de moi : « Calme-toi Alexandre, tu vaux mieux que ça. »

Si seulement c'était vrai...

Je n'arrive plus à arrêter mes allers-retours dans la pièce. Je fais les cent pas, les poings serrés.

« Tu peux le faire. Respire. »

Je sens un lourd regard sur moi. Celui de mon nouveau compagnon de galère : Will, un psychopathe narcissique. Ma vie est géniale...

— Avez-vous peur de moi, Maître ? Demande-t-il.

Sa voix siffle à mon oreille, tel un serpent, et me donne d'horrible maux de tête.

Il m'énerve. Il est assis là, sur sa chaise, sans bouger, avec cet air condescendant et ses questions stupides. C'est insupportable ! Je ne sais pas ce qui me retiens de le...

« Pense à Amae. »

Ce n'est que de la provocation. Je ne dois pas entrer dans son jeu. Le plus sereinement possible, je rétorque :

— Pourquoi aurais-je peur ? Tu es menotté, et surveillé. Rien ne peut m'arriver.

— Surveillé ?

 — Exactement ! Surveillé !

Je pose, de façon violente, mes paumes sur la table. Deux mains qui manquent de le rencontrer.

« Tu as échoué. Encore. »

Peu importe. Ça n'a plus aucune importance. Will cache quelque chose, et je découvrirai de quoi il s'agit.

— Et gare à toi, gamin, je n'ai pas l'intention de te quitter des yeux.

Il se met à rire. À nouveau. Ce rire aigu, insupportable. Je suis ici pour réévaluer les faits et son état mental. Pour avoir mon mot à dire sur son aptitude à réintégrer la société. Pour réfléchir à son jugement, qui aurait pu être effectué trop durement. Cela dit, je ne comprends pas comment le juge a pu avoir des doutes sur les mobiles et l'état de ce gars, au point de desceller les cartons archivés de l'enquête.

C'est un meurtrier, et toutes ses victimes étaient parents. Il laisse des dizaines d'enfants orphelins, dans l'abandon total.

Ce gamin pourrira dans sa cellule, je m'en assurerai !

— Garde ton énergie pour plus tard, continué-je. Si jamais l'envie de creuser un trou pour t'évader te prenait.

— J'apprécie votre prévenance, mais ça ne sera pas utile. Je sais exactement ce que j'ai à faire et comment le faire.

Il me nargue.

— Vous pensez réellement pouvoir quitter cet endroit ? Détrompez-vous. Je vous mets en garde. Je ferai tout pour que ça n'arrive jamais.

— Parfait, déclare-t-il. Et pendant tout ce temps où vous ne cesserez de penser à moi, j'aurais tout le loisir de m'amuser avec ceux que vous ne pourrez plus protéger.

Ma gorge se serre. Que manigance-t-il ?

— Tu me menaces ? Tu es vraiment stupide, je t'ai dit que tu étais surveillé. Crois-tu qu'on a mis un micro sur la table pour le simple plaisir de décorer ? Les enregistrements seront écoutés et...

— Quand vous aurez fini de parler pour ne rien dire, me coupe-t-il, prenez donc cinq minutes pour observer votre fameux micro.

Je bouillonne. Chaque mot, chaque mouvement de Will me met dans une rage que je sais incontrôlable. Pendant des années, Amae m'a forcé à m'inscrire à des stages de maîtrise de la colère. En vain.

Mon entretien avec Will n'est pas pour m'aider. Cet idiot ne fait qu'aggraver mon cas ! Il me fait tourner en rond, et ne comprend pas un traître mot de ce qu'il raconte. Je suis en position de faiblesse et je déteste ça autant que je déteste ce type.

À contrecœur, je regarde le micro et je remarque que la lumière rouge est éteinte. Je mets quelques secondes à comprendre.

Ce n'est pas vrai !

La personne qui nous a piégé, qui qu'elle puisse être, n'a pas seulement bloqué les portes. Elle a tout désactivé. Plus de micro. Plus de caméra. Nous sommes seuls au monde.

Will avait raison.

Mais pourquoi ? Et comment peut-il savoir tout cela ? Malheureusement, j'ai ma petite idée sur la question.

— Vous avez un allié, dis-je, pensif. Quelque part, là, dehors.

Sa langue glisse sur ses lèvres. Ses yeux pervers ne me quittent pas. Il savoure ce qu'il pense être sa victoire. Mais je refuse de m'avouer vaincue.

— Organisez-vous une évasion ?

— Une évasion ? Non, assure-t-il en secouant la tête. Le monde extérieur est bien trop dangereux pour moi.

Il s'enfonce un peu plus sur sa chaise et pose ses poignets menottés sur la table. Il est à l'aise, tout se déroule comme il l'avait prévu.

— Alors quoi ? Repris-je. Répondez-moi, Will ! Je perds patience.

— Désolé, mais si vous voulez jouer avec moi, il va falloir apprendre les règles. Les accepter.

— Mais quelles règles, Will ?

— Par exemple, si vous commenciez à vous méfier des bonnes personnes ?

Mes sourcils se froncent.

— Je me méfie de vous, et je pense que c'est amplement suffisant.

Son rire. Ce rire démoniaque. Insupportable. De nouveau.

— Vous pourrez continuer de croire que je suis le monstre à abattre, mais c'est ce qui causera votre perte.

Sous le masque des sages [2017 - EN PAUSE / A RÉÉCRIRE]Место, где живут истории. Откройте их для себя