Partie 1 : la tour

5 2 0
                                    

Touchée. La pluie fouettait les carreaux de mon bureau. J'observais l'océan furieux par le fenêtre face à moi. Je suis vulnérable, pensais-je, je pourrais mourir. Les gens ne s'en soucieraient pas. Pour eux je suis un monstre, et pour moi... je ne suis rien. Rien qui ne vaille qu'on prenne la peine d'enfermer. Les gouttes de pluie qui s'écrasent sans cesse sur la vitre sont mes seules amies. Et mon geôlier personnel. Il n'a pas le droit de me parler, je suis folle et dangereuse, à ce qu'il se dit, dans les ruelles sombres de la ville. Je me lève de mon bureau et observe. Ma cellule n'est pas si horrible. Elle est ronde, car en haut d'une tour. Comme une princesse, sauf que je suis une criminelle. J'ai quand même un lit propre à l'extrémité droite, des toilettes et une douche à l'extrémité gauche, un bureau en face d'une unique fenêtre dans une mezzanine, et un unique meuble où je range mes quelques affaires. Malgré cette apparente simplicité, c'est le grand luxe. J'ai une geôlier qui ne surveille que moi, et on me respecte assez pour me donner une chambre de princesse à la con. J'écarte les guirlandes de papier que j'ai fabriqué dans les premiers jours de ma détention et descends les escaliers de la mezzanine. Cela aussi c'est un luxe, le papier. Quelle sympathique attention de sa part. Il veut que j'écrive mais personne ne me lira jamais. Peut-être que lui il le fera, quand je serai morte de la solitude écrasante. Quand il voudra se remémorer une pauvre fille qu'il n'a jamais réellement apprécié. Une pauvre fille qui avait compris beaucoup trop de choses.

Je me dirige vers la porte et sur le mur de droite j'ajoute un bâtonnet de plus à mon emprisonnement. Puis je me place devant la porte, et compte, 5, 4, 3, 2, 1... et un cadre se dessine sur la porte au niveau de ma poitrine. Il est sept heures. Un flash, puis une boîte. Il est temps de déjeuner. Je prends la boîte, me recule, et salue aimablement les deux caméras se trouvant à chaque coin de la porte. Je remonte ensuite m'installer à mon bureau. Je pose La boîte en face de moi pour l'ouvrir. Je soulève le couvercle en carton et regarde à l'intérieur. Comme d'habitude il y a deux compartiments. Celui de gauche contient mon petit-déjeuner. Du pain sec, un carré de beurre, une bouteille de jus d'orange et une banane. Et à droite, mes précieuses, mes feuilles. Mon geôlier a ajouté un stylo, cela veut dire qu'il a lu le mot que j'ai laissé sur ma porte. Cela veut dire qu'il entre dans ma cellule... Je lui laisserai un mot pour le remercier. Je prends mes vingts feuilles quotidiennes et m'attache à faire la seule chose que l'on m'autorise encore à faire : écrire. Je sais qu'il m'observe, mais je ne peux rien faire d'autre que de vivre avec ces yeux qui m'épient en permanence. Au fond de moi-même je l'ai toujours su. Que ma vie était vaine et contrôlée par quelque chose qui me dépassait. Je sors mon pain, mon beurre, et l'écrase tant bien que mal avec ma cuillère en fer. J'épluche ma banane, puis la coupe, toujours avec ma petite cuillère. Je disperse ensuite les morceaux dans mon pain et mange ceux que je n'ai pu placer. Je m'attaque ensuite à mon sandwich, et mon regard se perd dans le ciel infiniment gris.

De l'autre côté de ce brouillard vivent des hommes et des femmes inconscients de ma vie, de nos vies perdues pour leur secret. Je frissonne tout à coup. J'ai froid. Je sers mon châle gris sur mes frêles épaules. La captivité me soumet à un régime drastique, et je crois avoir enfin atteint la taille des mannequins que j'adulais avant. Mon regard est attiré par quelque chose à l'intérieur du carton. Du rouge écarlate déborde de sous le compartiment droit. Je tire sur la ficelle, et c'est un châle entier qui s'offre à ma vue. Je n'esquisse pas un mouvement. En découvrant le châle j'ai fait tombé un morceau de papier. Je pose le tissu sur la boîte et ramasse le mot. Je déplie le papier et lit les quelques mots griffonnés : «Pour le froid. J. ». Mon coeur s'emballe. Je jette un coup d'oeil à la caméra au dessus de mon bureau et m'empresse de ranger le papier parmi les dizaines d'autres dans ma boîte à musique. Puis je m'assure qu'il ne reste absolument rien dans la boîte en carton et me dépêche de la déposer sur la tablette qui s'est détachée de la porte. Je cours ensuite à mon bureau et regarde le châle avec méfiance.

Qui est J. ? Voilà ce dont je me soucie maintenant. Je prends une feuille et réfléchis. Dois-je chercher son nom ? Est-ce un homme ou une femme ? Ou alors est-ce encore un nouveau piège de leur part pour me rendre folle ? J'ai peur. J. semblait savoir que j'allais avoir froid et m'envoie un châle. Illégalement. Je décide de le plier et de le poser sous mon oreiller. De retour à mon bureau, je prends mon stylo et commence à faire la liste de tous les noms dont la première lettre est «J» : Jordan, Julien, Jules, James, Judith, Julie, Julia, Jodie, Jade, Jérémy, John, Jane, Jean... et des milliers d'autres noms. Ça pourrait aussi être un surnom ! Autant dire que ça ne sert à rien. J'ai gaspillé de l'encre, du papier, et mon imagination pour cette vaine recherche. Je suis en train de rêver, rien de ceci n'est réel, tout est contrôlé... Mais j'ai si froid... Je reprends le châle et le serre dans mes mains. Rouge sang. Rouge éclatant dans cette grisaille oppressante. J'accepte ton présent car j'en ai besoin, mais ne crois pas que je te fais confiance. De toutes façons ils finiront par me le prendre pendant la nuit, et ils puniront celui qui a fait ça. Autant en profiter tant que le jour sera là. Une fois parti qui sait ce qui arrivera.

Je mets le châle rouge sur mes épaules, puis me mets à écrire. Je décris la vie au-dehors, le mouvement, je note la tristesse, la passion, les joies, l'accalmie, le soleil, la pluie, le vent, les oiseaux et le monde. Je vois des bribes d'amour dans le ciel, des amours tumultueux dans l'océan. Je vois l'insouciance des enfants dans la brise, la bêtise des Hommes dans la tempête destructrice. Je vois l'audace et la fougue dans les vagues qui se brisent sur les rochers. Je vois la vie de ma tour et je ne peux l'approcher. C'est tellement près et si loin à la fois. Je ne veux plus écrire, j'ai peur, je veux courir, je veux sentir le vent dans mes cheveux et l'embrun. Je veux que l'on m'aime et je veux aimer, je veux retrouver ma liberté et une raison d'exister.

JE VEUX VIVRE !


Le secret de SolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant