II - D'Eau, de Sang et de Glace - Verser Son Propre Sang

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 Le vent frais caressait le visage d'Abvarn Martelsen, appuyé à la balustrade du balcon de sa chambre. Dans ses mains, la couronne de Lokt scintillait à la lueur des étoiles. L'ancien roi l'avait déposée durant la nuit, avant de partir. Sa couronne.

L'avenir du royaume de Scandia reposait entre ses mains, désormais. Abvarn avait toujours imaginé une réception grandiose pour son couronnement, après les funérailles de son père. Le clan aurait préparé une fête somptueuse en l'honneur de leur ancien roi et de leur nouveau. L'hydromel aurait coulé à flots, des torches auraient illuminé le fort, le vent froid aurait porté le son des musiques et des rires jusqu'aux villages alentours...

Mais ce n'était pas la façon que Lokt avait choisi de partir. A la place, il avait profité de la nuit pour s'enfuir vers le Nord. Pour seul au revoir, sa couronne sur la table de chevet d'Abvarn et son épée, Tempête.

Aucune aurore boréale n'illuminait le ciel. L'activité du château avait cessé quelques heures plus tôt, et aucun son ne parvenait à Abvarn. Il ressassait sans cesse sa conversation avec son père. Rien de ce qu'il aurait pu dire n'aurait changé la décision de Lokt. Une fois que la folie du désert blanc prenait quelqu'un, plus rien ne pouvait les en guérir.

Cent hommes formaient la garnison de Fonteglace. Si des gens du peuple se joignaient à eux, Abvarn pourrait rassembler plus de deux cent soldats. Les Skjaldarn n'hésiteraient pas à leur prêter assistance en cas de besoin, et ils maîtrisaient les eaux. Avec leur aide et celle de leur peuple, une flotte d'une quinzaine de navires pouvait être constituée. La famille Herbjorn puisait leur fierté de leur compétence au combat. Abvarn ignorait combien d'hommes capables formaient leurs rangs. Une cinquantaine, peut-être. Sûrement plus.

Ce n'était pas assez pour défier le royaume d'Arilin entier. Cependant, leurs forces étaient divisées et éparpillées dans tout le royaume. Si l'attaque était assez rapide, prendre une des régions du nord d'Arilin était possible. Abvarn pourrait ensuite négocier avec le Conseil arilien. Pour prétendre réclamer la liberté de Scandia, il avait besoin d'un moyen de pression.

Seul le clan des Orfanos risquait de s'opposer à une campagne contre Arilin. Ils étaient trop proches de la frontière, et trop d'échanges se déroulaient entre eux et Arilin.

Au diable les traîtres d'Orfanos. S'ils oubliaient où leur allégeance devait se porter, ils méritaient de mourir comme ces chiens d'Ariliens.

Abvarn appellerait au rassemblement des troupes dès l'aube, après que les messagers de la démission de Lokt soient partis. Ainsi, le Conseil d'Arilin n'aurait pas le temps de se préparer à une éventuelle attaque du nouveau roi.

Le vent avait une odeur d'espoir. Les changements en Scandia s'accumulaient. Saorn Skjaldarn était Seigneur de l'Île de Skjald, et avec ce titre, devenait le seul maître des mers du Nord. Et lui, Abvarn Martelsen, était maintenant Roi de Scandia, et tous les clans lui devaient allégeance. Tout devenait possible, y compris restaurer l'honneur des Scandians que son père avait vendu en se soumettant au Conseil d'Arilin.

Demain, les Scandians partaient en guerre.

Un bruit de pas dans son dos interrompit sa réflexion.

- Il est parti, n'est-ce pas ?

La voix était douce et posée, contrastant avec les pensées d'Abvarn.

Alisa.

Abvarn se retourna et fixa son regard dans celui de sa soeur. Il leva la couronne.

- Oui. Je suppose que je suis roi, maintenant.

Les sourcils d'Alisa se froncèrent légèrement, et elle ne répondit pas. Abvarn sentit le sang pulser dans ses veines, et dût retenir le frémissement de sa voix lorsqu'il demanda :

- Ai-je ton soutien ?

Alisa caressa le dossier d'une chaise. Son regard s'arrêta sur le fourreau de Tempête, posé sur le lit d'Abvarn.

- Qu'a-t-il dit avant de partir ? demanda-t-elle, toujours d'une voix calme.

Les poings d'Abvarn se serrèrent. Ne comprenait-elle pas la situation ? Père n'était plus là, seuls ses ordres et ses questions importaient maintenant. Père les avait abandonnés. Le pouvoir revenait à lui seul.

Il se força à inspirer profondément.

- Rien. Il est parti dans la nuit. Maintenant qu'il n'a plus besoin de tes soins, tu pourrais peut-être vivre à Givrebrise avec ta famille. Auprès de Saorn.

Le regard qu'Alisa lui lança fit Abvarn se sentir fragile.

- Les Martelsen sont ma famille. Et je ne partirai que lorsque je saurai qu'aucun danger ne pèse sur ma famille.

Abvarn secoua la tête, tentant de déloger l'étrange sensation.

- Le seul danger qui menace Scandia est Arilin.

Il se félicita de l'éclat de surprise à peine contenu dans les yeux de sa soeur.

- Tu comptes partir en guerre.

- Evidemment.

De la tristesse ou peut-être du désarroi modifia les traits d'Alisa.

- Alors tu causeras notre perte à tous.

- Notre perte ? Non, petite soeur. Je serai celui qui redorera le blason de Martel. Les Ariliens apprendront qu'on ne soumet pas les clans Scandians aussi facilement. Je ne courberai pas l'échine comme père l'a fait. Je mènerai notre peuple vers la liberté qu'on nous a arrachée depuis trop longtemps. Je serai le digne descendant de Martel.

- Tu n'es pas toi-même, ce soir. Le deuil embrume ton esprit.

- Ne comprends-tu donc pas ? s'emporta Abvarn. Je n'ai jamais été autant moi-même que maintenant ! Toujours à devoir accepter les ordres de Père, devoir supporter la honte qu'il infligeait à sa famille, vivre comme des esclaves au Grand Royaume, toujours obéir ! Demain, reprit-il d'un ton plus calme, demain nous retrouverons notre fierté de Scandians. Demain, Arilin se videra de son sang tandis que nous pillerons ses terres, comme nos aïeux le faisaient autrefois. Nous étions un peuple libre, sauvage, intrépide. Le Conseil d'Arilin veut croire que nous sommes à présent domptés, dociles. Demain, ils apprendront leur erreur. 

Il s'approcha de sa soeur et plaça ses mains sur ses épaules.

- Chevaucheras-tu à mes côtés pour restaurer la gloire de notre pays ?

Une larmes coula silencieusement sur le visage d'Alisa. Abvarn la chassa de son pouce et prit une de ses mains entre les siennes.

- Tout ira bien, petite soeur. Ensemble, nous règnerons sur Scandia, et rien ne pourra se mettre en travers de notre chemin.

Alisa prit une minute pour calmer sa respiration et hocha la tête. Elle retira sa main d'un geste fluide et sans un mot, dégaina sa dague et la planta dans le torse d'Abvarn. Il hoqueta de surprise et regarda d'un air hébété la garde qui dépassait de son corps. Une tache rouge commençait à s'étendre sur ses vêtements.

- Père m'avait prévenue, chuchota Alisa. La vengeance t'es plus importante que le bien-être de notre peuple. Je ne peux pas te laisser détruire tout ce pour quoi père s'est battu.

Des bulles de sang se formèrent au coin de la bouche d'Abvarn.

- Je suis désolée, Abvarn.

Alisa tourna la lame d'un quart de tour et son frère s'effondra à ses pieds.

Le Chant des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant