I - Le Fils du Soleil - Une Question de Morale

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  Le marché battait son plein en cette période de l'année. Les rues du quartier commerçant d'Arilin offraient aux passants un spectacle de couleurs et de parfums exotiques. Les citadins en profitaient pour découvrir les délicats joyaux et soies de Moundira, les fourrures immaculées des créatures scandiannes les spécialités culinaires des nomades des Steppes pour les plus aventuriers.

Cimbaeth s'arrêta devant un lézard faisant la taille de son avant-bras, en train de cuire sur une broche. A côté, de minuscules insectes bleus grouillaient dans un sac de toile. A l'invitation de la nomade qui tenait l'étalage, le jeune homme saisit un des petits animaux entre ses doigts et l'examina de plus près. La carapace luisait à la lumière du soleil, dispersant un camaïeu bleu-vert. Cimbaeth prit une goulée d'air, enfourna l'insecte dans sa bouche et se dépêcha de le mâcher. Sous le croquant de la chitine, la chair était plus tendre et un goût sucré se répandit sur sa langue.

- Pas si mauvais que ça, hm ?

L'accent de la marchande dansait sur ses mots, portant les tonalités chaudes du sud et la fougue des nomades. La même énergie vive et insaisissable imprégnait ses mouvements tandis qu'elle préparait un petit sac d'insectes bleus. Elle le tendit ensuite au jeune homme.

- Combien ? demanda-t-il.

La nomade secoua la tête en souriant et lui fit signe de partir. Cimbaeth inclina la tête en remerciement et continua sa promenade.

Sedim lui avait laissé l'après-midi libre, et le jeune homme comptait bien en profiter. Ici, parmi les produits multicolores et les badauds venus des quatre coins de la région, il pouvait disparaître. Personne ne regardait à deux fois sa chevelure flamboyante ou ses manières des taudis. Ici, parmi les cris des commerçants et les jeux des enfants, il se trouvait à nouveau dans son élément. La seule règle que Sedim lui avait imposée était de ne pas le décevoir. Cela ne précisait pas s'il n'avait pas le droit de voler ou s'il n'avait juste pas le droit de se faire prendre la main dans le sac.

Voler avait cessé d'être nécessaire lorsque Sedim l'avait officiellement pris sous son aile. Désormais, Cimbaeth pouvait obtenir la plupart de ce qu'il voulait en restant parfaitement honnête. Mais quand il parcourait les rues en quête d'une proie facile, le jeune homme se sentait vivant, et maître de soi. En continuant sa vie de maraudeur des taudis dès qu'il le pouvait, il s'assurait de ne jamais devenir comme tous ces fils de seigneurs qu'il méprisait tant.

Cimbaeth referma ses doigts sur le coutelas qu'il cachait dans sa manche. Quelques centimètres seulement de lame dépassaient. Un Moundiran négociait le prix d'un oiseau au plumage jaune avec un nomade. Les deux parlaient fort et gesticulaient beaucoup. Ils connaissaient leur travail. Malheureusement pour eux, Cimbaeth connaissait aussi le sien. D'un geste fluide, il trancha le cordon qui retenait la bourse de l'acheteur à sa ceinture. La lame effilée glissa au travers du lien sans ralentir. Cimbaeth fit passer la bourse dans sa manche et continua son chemin. Un couple observait des bijoux un peu plus loin. La femme tenait à hauteur de ses yeux un collier lesté par plusieurs pierres multicolores. Le jeune homme ne leur accorda qu'un bref regard, mais ses doigts frôlèrent la surface de l'étal et se refermèrent sur un petit objet. Le bijou disparut dans sa paume.

Il continua son chemin sur une centaine de mètres avant de s'écarter un peu de l'agitation du marché pour examiner ses prises. Il trouva une place ombragée et s'assit au bord d'une fontaine.

Un pendant d'oreille reposait dans sa main, une petite émeraude réfléchissant la lumière du soleil sur sa peau. Cimbaeth sourit de plaisir. Il ne gardait que rarement ce qu'il récupérait. Par des gestes précis, il défit un des anneaux de cuivre à son oreille et le remplaça par le délicat pendant. Il s'apprêtait à ouvrir la bourse du Moundiran quand une main s'abattit lourdement sur son épaule.

Cimbaeth sursauta. Ses années au palais avaient effectivement émoussé ses réflexes, malgré tous ses efforts. Un soldat le surplombait de toute sa hauteur, imposant dans son armure et par l'assurance qui émanait de ses gestes.

- A qui est-ce que ceci appartient ? demanda-t-il en désignant la bourse, abandonnée dans les mains du jeune voleur.

Cimbaeth soupira de dépit, plus contre son manque de prudence que contre le garde.

- Pas à moi, répondit-il sur un ton résigné.

Il tendit la poche au soldat, qui ne fit aucun geste pour la prendre.

- Ce n'est pas à moi non plus. Va la rendre.

Le jeune homme ne réagit pas immédiatement. La plupart des gardes arrêtaient les voleurs pour s'approprier leur butin, pas leur demander de le remettre à sa place. Il fronça les sourcils mais le soldat ne broncha pas.

Confus, Cimbaeth s'écarta de quelques pas. Quand il vit que le garde ne le suivait pas, il s'enfuit dans les rues du marché. Il repassa devant l'étalage de bijoux où la jumelle de la boucle d'oreille attendait, esseulée, puis retrouva le Moundiran, toujours en pleine discussion avec le marchand nomade. Malgré lui, ses pas ralentirent. Le soldat l'avait laissé partir, il lui avait fait confiance. Cimbaeth s'arrêta. Même pour un habitant des taudis, une aura sacrée entourait ce genre de chose.

Il grommela et s'approcha discrètement du Moundiran. Il réfléchit un instant à la manière de procéder. Il ne pouvait pas lui annoncer que la bourse était tombée d'elle-même, le cordon était trop bien coupé pour cela. Dire qu'il l'avait reprise à un autre voleur n'était pas crédible. Le plus simple était encore de ne rien dire.

- Monsieur, appela-t-il, la bourse tendue au bout de son bras.

L'acheteur, trop pris dans ses échanges, ne l'entendit pas. Cimbaeth réitéra son appel. L'homme se retourna, l'air impatient. Il ouvrit des yeux surpris en voyant sa bourse aux mains d'un inconnu. Il tendit ses doigts d'un air incertain. Cimbaeth n'attendit pas qu'il reprenne ses esprits avant de repartir. Il fourra la bourse dans la main de son propriétaire et s'enfonça dans la foule, tentant de mettre autant de distance possible entre lui et le Moundiran.

Il se fraya un passage à coup de coude, sortit finalement de la masse de gens, et tomba nez-à-nez avec une armure. Levant le regard, il reconnut le soldat qui l'avait intercepté un peu plus tôt. Cimbaeth offrit ses poignets, s'attendant à ce que le garde l'arrête et cherchant déjà une stratégie qui le sortirait de cette situation sans faire appel à Sedim, mais le soldat ne fit pas un geste pour le saisir. A la place, il retira son casque et tendit sa main.

- Mathiel, annonça-t-il.

Un regard noisette étonnamment doux brillait dans ses yeux en amande et de longs cheveux bruns coulaient sur une épaule en une longue tresse.

Cimbaeth laissa passer une seconde. Lorsqu'il avança sa main, Mathiel enserra son avant-bras dans sa poigne musclée. Le jeune homme retourna son salut sans un mot. Dès que le soldat le relâcha, il s'enfuit à nouveau dans la foule.

Le Chant des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant