I - Le Fils du Soleil - Loup et Lion

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 Sedim serra les dents en descendant les marches qui menaient aux geôles sous la caserne principale d'Arilin.

Les physiciens du château n'avaient rien à voir avec ceux de Moundira. Ils ne connaissaient que les cataplasmes les plus rudimentaires, mais avaient découpé les chairs abîmées avec un zèle terrifiant.

L'épée sous son bras tapait régulièrement sur sa blessure et l'encombrait. La lame était pourtant plus légère que ce qu'il avait imaginé. Aucun livre de la bibliothèque ne mentionnait un métal aussi particulier. L'acier Scandian s'en rapprochait, mais d'après Daenic, aucune lame nordique n'arrivait à cette finesse sans se briser au moindre choc. Quant aux Moundirans, aucun forgeron renommé n'appréciait particulièrement les épées bâtardes, et la plupart préféraient les armes aux décorations opulentes aux lames aussi modestes et dénuées.

Malgré les recommandations des physiciens, Sedim avait fait le tour du quartier des artisans, mais aucun Arilien n'avait jamais vu une telle arme. Ainsi, il avait décidé de demander à la personne la plus apte à répondre, son porteur.


Un garde se tenait juste en face de sa cellule, les mâchoires contractées et les phalanges blanches de tension.

Le prisonnier faisait paresseusement les cent pas dans l'espace étroit, comme si la situation était propice à la flânerie. L'image rappela à Sedim les fauves du désert que les cirques itinérants transportaient dans des cages de représentation en représentation. Aucune indication de ses blessures ne transparaissait dans son attitude.

Un toussotement du Moundiran et l'inconnu se retourna.

Un regard d'acier plongea dans celui du Général. Il s'y attarda quelques secondes, s'égara un instant sur l'arme sous son bras, puis revint se poser sur le visage de Sedim qui entendit le soldat derrière lui prendre une brusque inspiration et saisir le pommeau de son épée.

- Ceci m'appartient.

Une voix rauque, mais les mots avaient été énoncés calmement.

Sedim ne répondit pas immédiatement. L'étranger avait le visage coupé au couteau des Scandians et leurs yeux clairs, mais sa peau trop marquée par le soleil et son allure trop souple. Quelque chose dans son visage mettait Sedim mal à l'aise. La forme de ses yeux, peut-être, ou les proportions de son visage. Pourtant, les Scandians étaient connus pour leur répugnance à se mêler aux autres peuples et la descendance scandianne avait donc conservé ses attributs physiques au cours des siècles. Peut-être était-il un des nomades des Steppes Australes, enfant de personnes en exil.

Sedim fit jouer les reflets irisés de la lame à la lueur des torches.

- Magnifique arme. D'où vient-elle ?

Le regard de l'étranger restait fixe sur Sedim. Le Moundiran saisit un tabouret et s'assit en face de la cellule.

- Je vois que vous avez récupéré plus vite que moi de vos blessures.

Silence. Sedim haussa légèrement les épaules et reprit :

- Malheureusement, tricher au sein du tournoi peut être passible d'exécution. Le Conseil délibère encore.

- Qu'attend-il ?

Sedim haussa à nouveau les épaules.

- Des réponses, je suppose.

Le silence s'installa à nouveau. Sedim observait l'épée, l'inconnu observait Sedim. Le garde derrière eux était resté la main crispée sur son arme et le visage tendu.

- Cette arme est une relique de la Guerre des Dragonniers, annonça le prisonnier.

Sedim leva les yeux vers lui. Il s'était avancé et son regard était maintenant attaché à l'épée. À son visage, Sedim ne lui aurait donné que quelques années de plus que lui.

- Cinq siècles sans aucune altération ?

L'inconnu aquiesça silencieusement.

- Comment est-elle tombée entre vos mains ?

L'ombre d'un sourire étira les lèvres de l'inconnu. Sedim crut reconnaître une des expressions habituelles de Cimbaeth. La ressemblance fit couler un frisson le long de son échine.

- Vous l'avez volée ? Tué son ancien propriétaire ?

- Non, répondit-il en secouant doucement la tête. Non, elle m'a été offerte.

Cela n'avait aucun sens. Seuls les dragonniers possédaient de telles armes, et aucun ne s'en serait séparé même après la mort.

- Qui êtes-vous ?

Le prisonnier inclina la tête et son regard se perdit contre le mur de sa cellule pendant un moment. Il murmura :

- On m'a donné beaucoup de noms au cours de mon existence. Vous me connaissez peut-être sous celui d'Ohtar.

- C'est impossible.

- Vraiment ?

Sedim soupira. Il avait entendu parler d'Ohtar. Probablement l'un des plus célèbres chevaucheurs de dragons. Mort lors de la Guerre des Dragonniers, au côté de son dragon Lorkhan et de tous ses congénères. Désormais, les dragons avaient disparu et les Dragonniers n'étaient plus que légendes.

- Je perds mon temps avec vous. Que le Conseil fasse ce qui lui plaise.

- Attendez.

L'injonction retentit tandis que Sedim se relevait pour partir. Quelque chose dans la voix le fit s'arrêter dans son élan.

- Vous me paraissez être quelqu'un de raisonnable. Vous pensez que je vous mens, et il se peut que vous ayez raison. Mais le doute subsiste, n'est-ce pas ? Une petite voix qui vous dit continuellement "et si seulement les choses étaient différentes de ce que vous croyez?". Vous savez, au fond de vous, que vous ne pouvez pas laisser ce doute ronger les bords de votre esprit. Vous voulez des réponses, et non des hypothèses. N'est-ce pas ?

Sedim réfléchit un instant.

- Supposons que vous disiez la vérité. Pourquoi venir ici, à Arilin, et vous faire arrêter ?

Le sourire s'élargit sur le visage de l'inconnu. Une expression qui relevait plus du défi ou de la menace.

- J'ai besoin de votre aide. Et vous avez besoin de la mienne.

- Allons bon.

- Vous refuserez tout ce que je vous dis avant d'avoir trouvé vos réponses, Moundiran.

Sedim soupira. Il avait déjà perdu trop de temps avec ces absurdités. Le prisonnier ignora sa réaction et s'allongea sur la paillasse qui lui servait de lit.

- Demandez Farel, le Barde. À la Taverne du Feu de Joie.

Le Chant des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant