16. Pierre, minuterie !

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Je me revois, presque cinq jours plus tôt, dans ce même métro, descendre à ce même arrêt, et sonner à cette même porte. Si j'avais pensé que ma jauge de stresse était en train de battre des records, ce n'est rien comparé à aujourd'hui. Je ne sais pas comment Jonas fait pour ne pas voir que je suis au bord de la crise de panique, parce qu'à partir du moment où il a été décidé d'appeler Anton pour le prévenir que nous débarquions chez lui pour ramener Joly à son frère, je suis aux abonnés absents. Heureusement, Anton ne dormait pas, ne me demandez pas ce qu'il était en train de faire à minuit passé, mais Jonas m'a rapporté qu'il avait l'air assez inquiet de la situation. Si Anton est inquiet, je suppose qu'Eden doit l'être aussi. Je suis déçu de ne pas être tombé dans les pommes. Au moins comme ça, j'aurai pu éviter d'être confronté à cette situation.

Dans mon délire, alors que je marchais comme un robot en suivant un Jonas soutenant une Joly au bord de l'évanouissement, je me suis fait promettre d'aller voir une voyante. Ce n'est pas possible, avec tout ce qui m'arrive en ce moment, que je n'ai pas été maudit par quelqu'un. Je ne vois pas qui pourrait m'en vouloir à ce point, à part Eden, mais il y a forcément quelque chose qui cloche sur mon karma. Peut-être est-ce quelqu'un dans ma vie antérieure. Ou peut-être quelqu'un possède une poupée vaudou et s'en sert pour me torturer à distance. Enfin tout ça pour dire que j'ai la poisse et que je sens que mon quota de self-control a atteint un pourcentage quasi inexistant. Pour tout dire, alors que nous patientons dans l'ascenseur, je suis à la limite d'appuyer sur les boutons de tous les étages pour me faire gagner du temps. Joly a sa tête posée sur l'épaule de Jonas, et elle ne cesse de marmonner je ne sais quoi. D'ailleurs, Jonas me lance un regard pour me faire comprendre qu'elle est cuite et qu'elle l'écrase, alors qu'il se trouve avachi contre la paroi de l'ascenseur. Je crois qu'il essaye de me faire rire, mais alors qu'il observe les traits tendus de mon visage et la sueur qui perle sur mon front, son visage s'assombrit.

- T'inquiète, si son frère t'embête, je m'occupe de lui.

Je passe une main sur mon visage et me masse distraitement les tempes.

- Non... Surtout, laisse-le tranquille.

Les mots s'échappent de mes lèvres malgré moi, et je suis soulagé d'avoir ma main pour cacher mon visage. Je n'ai pas envie que Jonas ne décèle quoi que ce soit chez moi qui lui mette la puce à l'oreille. Je n'ai pas envie d'en rajouter une couche, et je sais qu'Eden n'a jamais rien fait de mal. Il a le droit de m'en vouloir. Je ne veux pas que ça lui retombe dessus. Jonas pense que je me suis battu avec Danny parce qu'il m'embêtait, ce qui n'est pas complètement faux, mais ce n'est en aucun cas la faute d'Eden, et je ne veux pas que Jonas pense que tout est lié. Je souffle longuement et cesse de me cacher derrière ma main, fixant mon regard sur les chiffres qui défilent. Bientôt le dernier étage. Je suis tenté de déposer Joly sur le paillasson, de sonner, puis de m'enfuir en courant, mais je ne crois pas que Jonas adhérerait à ce plan.

Les portes de l'ascenseur s'ouvre après un petit ding désagréable, et Jonas me fait signe de l'aider à remettre droite Joly. Je passe son bras sur mes épaules et nous nous extirpons tant bien que mal de la cage d'ascenseur, qui est à peine assez grande pour laisser passer deux personnes en même temps. L'immeuble étant assez vieux, bien que totalement refait, ils ont gardé l'ancien petit ascenseur, tel que celui qu'on trouve dans le film Le Père Noël est une ordure. Si j'avais été d'une meilleure humeur, je me serais sûrement surpris à hurler "Pierre, minuterie !!", mais mes cordes vocales me semblent totalement soudées à ma chair, au point de ne plus pouvoir émettre le moindre son.

Maintenant Joly comme il peut, Jonas n'a même pas le temps d'appuyer sur la sonnette que la porte s'ouvre dans un grand fracas. Le visage d'Eden apparaît alors face à nous, déformé par un mélange d'inquiétude et de colère. Allez savoir comment, Joly se redresse d'un coup, pouvant étrangement tenir parfaitement debout maintenant, et elle s'enfonce dans l'appartement en poussant son frère d'un coup d'épaule.

Pour que tu m'aimes encoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant