Chapitre 1

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C'était un café tout à fait ordinaire, celui du centre ville, qui me rappelait le café où j'allais souvent lorsque j'étais établit à New York, une époque qui me semble révolue depuis bien longtemps maintenant.

L'écran plat situé au-dessus du bar, renvoyait l'image de ce présentateur de la première chaîne. Celui qui malgré une trentaine bien sonnée paraît avoir toujours vingt ans, probablement à cause de sa coupe de cheveux ou encore de ses costumes à la mode. Il parlait d'une voix si forte, où l'on sentait un mélange de stupeur et d'amusement à la fois — ce qui à mon sens est à l'origine de sa popularité — du jeune candidat au poste de gouverneur de la Louisine — je crois me souvenir qu'il s'appelle Ligheton, un nom bien anglais mais de cela personne n'en parle.

On a rarement vu de candidat aussi jeune disait-il de sa voix affable — mais je crois bien que personne n'écoutait vraiment dans ce café — mais c'est aussi le candidat le plus populaire si l'on en croit les récents sondages ajouta-t-il.

Si vous voulez mon avis, cette campagne n'intéressait absolument personne.

J'étais à Shreveport depuis quatre mois, et toutes les chaînes ne parlaient plus que de ça, mais parfois j'avais la singulière impression que tout le monde s'en fichait. Il n'y a qu'à écouter les conversations dans ce café, personne ne parlait de ça alors que la télévision nous envoyait directement un débat au sujet du candidat le plus jeune.

La présentatrice avec lui, qui, si mes souvenirs étaient bons, avait été une mannequin, évoqua le fait que Ligheton n'avait jamais réellement fait de politique.

Et je me souviens alors de ce reportage où l'on retraçait l'histoire du candidat. Il avait fait de brillantes études, l'une des université les plus prestigieuses, s'était intéressé au journalisme avant finalement d'accepter un poste très convoité dans une agence de pub. Et soudainement, il se retrouva conseiller au sein de la campagne des primaires démocrates, il soutenait l'ancien gouverneur de New York.

Personnellement, au cours de ma carrière de journaliste, j'ai vu un tas de candidats à la carrière prometteuse en politique, et à les entendre parler on aurait dit que cette vie de politicien les avait tellement usé qu'on leur aurait accordé la retraite juste pour les épargner des affres de cette vie là. Alors quelqu'un de jeune et qui semble avoir encore quelques idéaux et quelque morale, ça ne me dérangeait pas.

Et puis il serait entouré alors, pourquoi pas ?

L'ami que j'étais venu dans ce café lâcha soudainement sa petite cuillère dans sa tasse, et le bruit du métal contre la porcelaine me ramena soudainement à la réalité.

Je posais les yeux sur lui, et fut surpris par son teint blême, son regard qui exprimait une telle surprise et quelque chose qui ressemblait au dégoût, à de la frayeur m'emplit d'un sentiment de frayeur à mon tour.

Je ne l'avais jamais vu ainsi.

« Tout va bien ? lui demandais-je brutalement inquiet. On dirait que tu as vu un fantôme, ajoutais-je non sans une pointe d'humour.

Je regrettais aussitôt ces paroles, parce qu'on aurait véritablement dit qu'il venait de voir un fantôme, et que j'eut le sentiment intime que faire de l'humour à cet instant était tout bonnement déplacé.

Mon ami secoua lentement sa tête, avec quelque chose d'indéfinissable dans son regard.

— C'est juste que... Cet homme là, le candidat dont ils parlent tous, c'est... Non, je dois me tromper probablement.

Je répondis aussitôt.

— Ligheton ?

Le plus étonnant c'est que je ne l'avais jamais vu suivre l'actualité politique, ce qui avait toujours été entre nous une source de conflit puisque moi-même j'avais plusieurs fois été confronté à ce monde à travers mon travail de journaliste.

J'aurais ris de la situation sans l'air tristement sérieux de mon ami. Il semblait si éprouvé soudainement, agité nerveusement.

­— Oui, c'est cela, Godric Ligheton ! C'est son nom... et... c'est difficile à dire comme cela, parce que je suis pratiquement sûr de me tromper, mais il me rappelle singulièrement quelqu'un.

J'étais naturellement surpris que mon ami parle ainsi, et plus encore qu'il puisse connaître le candidat au poste de gouverneur. Evidemment, si Ligheton était de Shreveport, alors il était plausible qu'ils se soient rencontrés par un simple hasard de la vie.

— Peut-être que tu l'as croisé dans la rue ou dans un café, tu sais le monde est souvent plus petit qu'on ne le pense. » fis-je d'un ton qui se voulait rassurant.

Pourtant l'air de mon ami, son agitation soudaine, me troublait. Et s'il avait effectivement croisé par hasard le candidat en quoi cela pouvait l'agiter autant ? Il se moquait éperdument de la politique et ce depuis toujours.

Tout cela était prodigieusement incroyable.

« Oui... commença-t-il à me dire d'un ton pensif, mais son air troublé ne le quittait pas. Non, je veux dire non. C'est une histoire, enfin le genre d'histoire qui, c'est ridicule je sais, et impossible bien sûr, je veux dire, c'est un candidat au poste de gouverneur ! Et... ça colle pas, tout simplement pas.

Il s'était mis à tapoter la table avec sa cuillère et il y avait une telle frénésie dans son geste que j'en fus effrayé, oh pas terrifié, simplement, mon inquiétude commençait à grimper si rapidement en moi. Et puis, surtout, je ne comprenais absolument rien aux paroles de mon ami.

Finalement je posais mes mains à plat sur la table, sentant l'humidité du bois sous ma peau, et fixant mon ami en prenant une grande inspiration, je lui fis :

— Ecoute, je vois bien que tu es agité, anormalement agité. Et généralement dans ces cas là, le mieux est de tout raconter. On est amis de longue date, ne te soucie pas de mon jugement, tu sais bien que tu peux tout me dire.

Finalement mon ami hocha la tête, même si mes paroles ne paraissait pas l'avoir calmé, il me sourit un bref instant, comme si le souvenir de notre amitié combattait finalement l'agitation nerveuse dont il était la victime.

— Eh bien, il y a quelques mois de ça, je rentrais chez moi après une soirée arrosée chez des amis. C'était en banlieue, si bien que, il n'y avait pas le moindre taxi bien sûr, du coup je rentrais à pied. Et il y avait cette fichue brume, on n'y voyait presque rien. D'un lugubre. Et c'est là que je tombe sur cette scène.

« Il y avait une jeune fille, une paumée, le genre qui fait la manche pour avoir sa dose si tu vois ce que je veux dire. Et puis en face, marchant sur elle, ce jeune homme, propre sur lui, et tellement, enfin il avait l'air si sûr de lui, il affichait un tel mépris, c'est ça qui m'a frappé... sinon j'aurais continué mon chemin.

« Et dans ma tête, je me disais, enfin ça me faisait rire d'imaginer ce que ce type devait penser de cette fille. Naturellement, elle lui a demandé du fric, enfin j'étais trop loin pour entendre, mais ça se reconnaît de loin, tu vois, il y a ces gestes qu'ils ont, et je me disais, enfin j'avais presque pitié pour ce mec. C'est vrai, il semblait tellement pas à sa place. Et là, soudainement, il a commencé à lui hurler dessus, il la houspillait comme si, enfin, j'ai cru qu'il allait la découper en morceau, il était si en colère contre elle et hurlait si fort.

« La pauvre malheureuse est littéralement tombée à genoux devant lui, et elle pleurait, au début je pensais que c'était juste ce qu'il disait, c'était si horrible, et puis j'ai compris... qu'elle avait mal, qu'elle souffrait.

« J'ignore comment, mais ça se lisait dans ses traits. Elle pleurait et hurlait en même temps, alors je suis intervenu. Eh bien, c'est là le plus extraordinaire, alors que j'étais entre eux deux, en train d'essayer d'éloigner ce type, il m'ignora complètement et continua à lui hurler dessus les pires insanités.

« Je tentais par tous les moyens d'éloigner cet homme, qui j'en étais conscient d'une manière horrible était responsable de l'état de douleur indicible de la jeune fille, et il me laissa parler, avant de m'offrir le sourire le plus terrible que je n'ai jamais vu. »

Tremblant, blême comme un linge, il ajouta : « On aurait dit le diable en personne. »

Le diable en personneWhere stories live. Discover now