23. Madjid al Rhawi

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C'est vrai qu'une fois lancé, Aziz est capable de retourner les troupes de Daesh à lui tout seul. Et si un Calife décidait de l'éliminer, ce ne serait pas bon du tout pour nos affaires.

Mais ledit Calife, avec ses Hafiz, ils ont dû comprendre. Ou bien ils n'ont rien à refuser au grand frère, qui sait. De fait, le soir-même, Aziz reprend le chemin inverse : Jarabulus, Euphrate, passeurs, Karkami, Gaziantep, où un jet privé l'attend sur le tarmac. Direction Doha.

Sauf dans l'avion, où ça ne capte pas, Aïcha doit lui susurrer le Coran à la commande, verset par verset, qu'il reprend en canon. Il demande également les heures des prières, qui changent chaque fois qu'il bouge.


Saleh Madjid Al Rhawi, quatre-cent soixante-et-unième fortune mondiale, excusez du peu, doit attendre son cadet de pied ferme : sur le tarmac, Aziz a été fourré illico dans un hélico, débarquement en haut de la résidence al Fardan, 300 mètres au-dessus du sol. Direction la suite du frangin, qui possède un étage complet, marbre partout, robinets en or massif, tapis au plafond...

Il y a reçu sa première engueulade : « C'est quoi ce bordel ! Cette faribole d'enlèvement ! Ces histoires de bigoterie ! ». Mais on a renvoyé à Aziz l'Adhan de Ben Youcef dans l'oreillette. Au lieu de répondre, il réclame un tapis et commence sa prière, émaillée de quatre longs versets, récités par cœur, évidemment. Même le Madjid en est ébranlé. Il a rabaissé de ton lorsque la prière prend fin.


Il essaye la tentation. Whisky, Port Ellen à 3000€ la bouteille, entre autres, mais aussi un petit garçon, un philippin, sept ou huit ans, importé à dessein, qui dit « Nanay, Nanay », « Maman » en tagalog, en se terrant dans un coin. Pour toute réponse, il n'obtient d'Aziz qu'un autre bout de verset, que lui glisse Aïcha : « N'approchez pas des turpitudes ouvertement, ou en cachette ». Aziz ajoute : « Ne bois plus jamais d'alcool devant moi ; ne me présente plus jamais de garçons ou d'esclaves ».

Madjid tente la douceur. Aziz a beaucoup enduré. Dans son enfance déjà, quand sa mère, chiite, a été répudiée. Certes, on n'est pas chiite impunément, mais cela n'en a pas moins été difficile pour le petit garçon qu'il était. De là sans doute son penchant, coupable certes, mais néanmoins compréhensible, et finalement plutôt bon marché, pour les petits garçons philippins.

Et puis, il sort tout juste d'une aventure extravagante : enlèvement, périple invraisemblable, croisière en cercueil, sommeil de plomb, routes défoncées, rapides de l'Euphrate, geôles de Daesh, décapiteurs, bombes, stress...

Il a souffert, dans sa chair et dans son honneur. Qu'il ait trouvé refuge dans la religion, lui, le bon vivant, l'amateur de chair fraîche, de foot, d'alcools forts, c'est certes surprenant, mais sans doute compréhensible. Il faut qu'il se remette.

Un bon bain, des massages experts, un succulent repas, un grand lit, pour commencer. Ils reprendront la discussion le lendemain. Puis il pourra s'en retourner à Londres se noyer dans le luxe et s'occuper du rachat du club de Fulham par le consortium familial.


Le lendemain, petit matin, on rattaque avec Doha. Après la prière, Madjid est revenu. Salutations fraternelles, et Aziz demande à son grand frère :

– Comment se fait-il qu'ils ne m'aient pas tué ?

– Qui ?

– Daesh.

1. Opération DésherbageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant