"LA VIDÉO LA PLUS CHOQUANTE" (2091)

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L'image semble figée dans l'instant présent. On y aperçoit aisément deux garçons dans la quinzaine. Ils portent un masque, de façon à ce qu'on ne puisse pas reconnaître qui sont-ils - reste à savoir pourquoi.

C'est après avoir observé longuement la photo qu'on découvre certains détails pas si bien dissimulés. Entre autres, il y a un assez vieil homme qui s'est assoupi au fond de la pièce. On remarque en revanche que le caméraman n'est pas si professionnel; son pouce couvre une toute petite partie de l'image.

Heureusement, le Wi-Fi revient et la roulette grise au centre cesse de tourner. Les acteurs prennent vie, tels des bonhommes de dessin animé.

- Bonjour à tous, s'engage un des garçons, celui avec les cheveux noirs ébouriffés. Je préfère déjà vous avertir que cette vidéo pourrait froisser certains des plus conservateurs de ce monde.

Une jeune femme aux cheveux d'ébène (elle et l'adolescent partagent à coup sûr le même sang) s'avance afin que l'on puisse la voir dans le cadre. Elle aussi porte un masque, peint en rouge, cette fois-ci. Enfin, elle entame son monologue en gesticulant pour bien se faire comprendre.

- L'annonce est faite, parfait. Passons aux vraies affaires. *hum, hum* J'ai entendu dire que les humains étaient...  des caves. Des imbéciles! Pis c'était des humains eux-mêmes - des écologistes, des humanistes, des scientifiques - qui répandaient toutes ces sottises à la noix. On retrouve dans ces discours un excellent dénigrement de sa propre personne. Mais je vais vous dire quelque chose. On n'est pas des imbéciles. On est juste stupides, nuance. C'est-à-dire qu'on utilise pas notre intelligence à bon escient.

Elle tourne la tête vers le fossile endormi derrière elle et crie, comme s'il était sourd:

- Hein, papa, qu'on est tous des accros aux jeux vidéos, bêtes comme nos pieds et insensibles aux vraies affaires?

- Ooooh, oui, marmonne-t-il avant de se rendormir.

La caméra zoome alors vers un gamin plus petit que l'autre, malgré son visage tout aussi dur. Il semble beaucoup aimer blaguer, en raison de son sourire malicieux en coin. Mais pour l'instant, plaisanter ne semble pas être son mot d'ordre.  Le garçon passe une main visiblement moite dans ses cheveux bruns et raides et présente:

- Vietnamien, belge, tunisien ou français, je t'invite à visiter cette municipalité sale, dégueulasse et pauvre qu'est la nôtre. Allez, suis-moi!

La vidéo coupe et l'image réapparaît en face d'un lieu effectivement ordurier. Cet endroit pourrait tout aussi bien être un dépotoir.

Du sable orangé parsème le sol et côtoie bouteilles de verre éclatées, sacs d'épicerie troués et écouteurs à l'abandon. Des lampadaires pour la plupart lacérés de partout se tiennent bravement sur chacun des bords de la rue. Pas un seul arbre, pas même une seule trace de vie ne sont existants, ici. Autant vivre en plein désert. Là, au moins, les cactus tiennent compagnie.

L'image change encore. Nous sommes à présent devant une prison grisâtre aux allures de maison hantée. S'il y reste encore des détenus, ils sont morts ou sur le point de rendre leur âme.

Durant plusieurs minutes, on découvre photos par photos ce triste monde. En même temps joue en trame sonore de la musique classique mélancolique, mais démodée. Chopin et compagnie, ce n'est pas ce qu'il y a de plus connu. Des itinérants ronflant sur le sol crotté aux bouches d'égouts remplies à ras bord, tout y passe. C'est peut-être ringard, mais c'est émouvant... Et surtout choquant. Comment une planète peut être aussi dégoûtante?

La vidéo se termine sur une phrase qui laissera sans aucun doute chacun des auditeurs sur leur faim:

- C'était quand, la dernière fois que vous êtes sortis de chez vous?

...

Statistiques sur la vidéo:

Jusqu'au 3 juillet:

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