2091 (14 juin, 16h)

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Laurent passe avec soulagement la porte du domaine un peu isolé de son grand-père. L'entente de la vibration constante du ventilateur ne peut que l'apaiser, sachant que la température en-dehors monte aujourd'hui dans les 40°C. De plus, il règne chez ce vieil homme une ambiance de sérénité absolue. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait penser à première vue, William ne vit pas seul, comme beaucoup de personnes âgées à cette époque. Son épouse bien-aimée, Charlotte Lapou, ne sort jamais de sa belle chambre aux murs de papiers peints. Elle semble s'être endormie pour toujours, et pourtant, elle n'a pas cessé de respirer. Malheureusement, l'hôpital ne veut pas prendre en charge la pauvre femme, sous prétexte qu'«ils ne lui seraient d'aucune utilité». Mais c'est, de toute évidence, stupide.

William espère qu'un jour, elle recouvre conscience, et ce, parfaitement saine d'esprit.

Ainsi, Laurent aperçoit ce dernier, habillé de son éternelle chemise à carreaux, sortir de la pièce où repose Charlotte. Tâtonnant les murs une fois de temps en temps afin d'être sûr qu'il ne fonce dans rien, il avance dans un silence religieux vers son futon. L'adolescent lui annonce sa présence. Le débit de sa voix contraste tout d'un coup cruellement avec le calme du foyer.

L'homme tressaille. Donner la clé de sa maison à son petit-fils est peut-être plus anxiogène qu'autre chose. Ce qui ne l'empêche pas de lancer, enthousiaste comme toujours:

- Eh ben, ti-loup! J'te dis que tu viens pas souvent voir ton périmé d'grand-père! J'peux-tu savoir que me vaut l'honneur de ta visite?

- De un, ti-loup, c'est moche. De deux, j'avais pas le temps du tout. Et de trois...  grand'pa, on dit arriéré ou fossile vivant, pas périmé. T'es pas un pot de yogourt à ce que je sache, réplique Laurent.

Il est ravi de pouvoir enfin riposter tout en étant sarcastique, cultivé et un tantinet méchant. C'en devient une belle journée!

William ricane.

- Faque-euh, t'es venu pourquoi? J'ai déjà finis d'te montrer pour une seconde fois tous mes albums photos, tu le sais, ça?!

Laurent s'avance vers pépère et s'assoit à ses côtés, sur le divan. Après avoir toussoté une dizaine de fois et replacé solennellement les coussins artisanaux flanqués sur ses jambes, il commence:

- Donc. Moi et mes amis - non, désolé, mes amis et moi - avons eu une idée pour un certain... projet, disons. Tu m'as beaucoup parlé des années 2000. Je me suis dit qu'on pourrait faire une révolution pour revenir dans ce temps-là.

Le grand-père, tout sourire, acquiesce, le poussant à poursuivre ses explications incertaines. Laurent soupire.

- Le problème, c'est que j'ai pensé beaucoup trop grand, tu vois? On a rien que quinze ans, après tout! À notre âge, changer le monde entier pour qu'il devienne comme avant, bah...

- Wôw, relax!  J't'ai jamais dit que dans l'temps c'était super! l'interrompt William. Les gens étaient aussi caves que maintenant, capiche? N'importe quoi... C'est sûr que c'était mieux avant, mais ça reste que c'est loin d'être un exemple à suivre, ti-loup!

- Ah bon? murmure un Laurent trop découragé pour reprendre la marque d'affection qu'a glissé son grand-père.

Le vieillard secoue la tête en signe de négation.

- Grand'pa, d'toute façon, je vais pas continuer ce foutu projet de révolution. Enfin, je ne sais pas trop.

On aurait pu entendre une mouche voler. Cependant, William décide de ne pas faire ce plaisir à l'insecte en commentant:

- Écoute, mon gars, tu fais c'que tu veux. Par contre, si tu veux te "révolter", il te faut un but meilleur que ça. Parce que, de toute façon, les années 2000, c'est pas un objectif à vouloir atteindre. C'est toute.

À présent calé au fond du divan, Laurent commence à regretter d'avoir parlé de cette affaire à son grand-père dont les paroles parfois bien sibyllines déconcertent plus que d'autres choses. Peut-être que s'il réfléchit, - et pour de vrai, cette fois - il arrivera à des conclusions plus ou moins convaincantes?

Décidé à poursuivre cette conservation qui va progressivement dans le sérieux, le garçon approfondi la question à haute voix:

- Ce que j'aimerais améliorer dans ce monde, c'est la qualité de vie. Tout le monde est hyper pessimiste et renfermé, c'est... ordinaire.

William sourit. Son petit-fils continue ensuite à sortir ses idées de façon très pêle-mêle, l'air à moitié très concentré sur sa tâche, mais aussi un peu perdu dans ses pensées.

Toutefois, après une dizaine de minutes où Laurent énonce ses visions d'un monde meilleur, - mais bien illusoire - le vieil homme commence à se lasser de ces élucubrations bien rêveuses.

Justement, un bruit de l'extérieur sort l'adolescent de ses pensées. Ce sont les parents du garçon qui lui crient de revenir immédiatement, le corps à moitié en-dehors.

Craignant qu'ils se cassent assez bêtement le dos dans cette position, il se hâte de les rejoindre.

...

19h

- Maeko, dégage.

- Nanh!

Le grand frère fronce les sourcils, mais elle s'en fiche et lance malicieusement:

- Tu m'as promis de me prêter ta console de jeux quand je le veux! À moins que... PAPA! MAMAN! Vous savez que Laurent il a...

Il lui plaque la main contre la bouche, la faisant taire. Puis il se met à parler tout bas, les yeux lançant des éclairs à la fillette:

- Chut! Tu dis un mot, et je t'assassine dans ton sommeil. Allez, rentre, et joue. En silence, compris?

La manipulatrice en herbe - bien que déjà pas mal expérimentée - gambade en direction de la petite télévision et de la manette de jeux vidéos tandis que Laurent se rassoit à son bureau, les yeux rivés sur son écran d'ordinateur. Alors, il tape quelques mots sur son clavier lentement, et, bientôt, il forme plusieurs phrases à toute vitesse.

Quelques minutes plus tard, une petite curieuse tourne la tête vers le paragraphe en Times New Roman et le lit à voix haute. Au final, la lettre pixelisée ressemble à ceci:

"Bonjour, Camélia. Ça fait un bail que nous ne t'avons pas vue. Toutefois, je ne t'en blâme point, car j'ai appris tout récemment par le biais de mon père que tu es au chômage depuis des lustres. Tu as été renvoyée par ton patron parce que tu contestais les conditions de travail de la manufacture où tu travaillais, est-ce bien cela? Mon humble avis est que ce chef est un idiot, rien de plus. Aussi, j'ai pensé à toi pour devenir porte-parole officielle - bien qu'officiel est un grand mot pour l'instant - de notre révolution, à mes amis, Maeko, et moi. Tu sembles être une révolutionnaire, et une vraie de vraie, prête à s'impliquer dans toutes sortes de projets. Du moins, c'est ce que l'on m'a décrit de toi. Au fond, la mission de cette modeste rébellion serait de faire sortir de chez eux les habitants de cette ville, de ce pays, et finalement de ce monde. De leur montrer à quel point la planète Terre était, est et sera toujours merveilleuse, peu importe qui vit dessus.

Amicalement bien que professionnellement,

ton contestataire de neveu."

Laurent ne prête pas attention aux commentaires que la peste à ses côtés ne cesse de jacasser. Un sourire satisfait sur ses lèvres, il envoie le courriel électronique - qui ressemble plus à un poème qu'à un email - à sa tante préférée, Camélia. Il est sûr et certain qu'elle acceptera.



Salut, très cher Wattpadien! D'abord, merci infiniment pour ta (tes) lecture(s), lecteur fantôme ou pas! J'espère que mon histoire et ses personnages te plaisent. Si tu as une minute, pourrais-tu me dire les améliorations qu'il y aurait à faire? Que ce soit au niveau de la cohérence du texte, de sa compréhension, du scénario ou de l'orthographe... J'aimerais beaucoup parfaire ce récit afin que tout le monde (autant toi que moi) aime ça. Merci beaucoup! :)


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