~ Chapitre 01 ~

4K 397 194
                                    



« Celui qui s'assied
au fond d'un puits
pour contempler le ciel
le trouvera petit »

~

Un jeune garçon, accoudé à la fenêtre de sa chambre, menton posé au creux de ses mains, contemple l'oscillation régulière de la surface sombre.

C'est l'heure, pense-t-il, alors que les derniers rais de lumière s'engouffrent par-delà l'horizon.

La première étoile est déjà visible. C'est celle qu'il préfère. On dit qu'elle guide les âmes si l'on décide de la suivre. Pour cette simple raison, il ne se lassera jamais de la regarder.

Ce soir est une nuit sans lune. Dommage, ses reflets scintillants sur l'océan offrent un spectacle d'une beauté à couper le souffle. Une légère brise iodée s'engouffre par sa fenêtre et vient faire voleter ses cheveux autour de son visage. Il ferait bien de se couvrir, il fera froid une fois là-bas.

Il se retourne vers la petite pièce lui servant de chambre, et la balaye du regard à la recherche d'un vêtement chaud. Quand il trouve un sweat large, ses mains s'y agrippent et ses yeux s'attardent sur son petit radio-réveil.

00:01, c'est son anniversaire.

Cela fait maintenant onze années qu'il réside dans cette petite ville pittoresque, sur la côte.
Onze années que le bruissement du vent contre ces murs est devenu son quotidien.

Le village est presque entièrement constitué de petits quartiers, où de petites maisons de bois blanc s'alignent, à peu de choses près identiques les unes aux autres. En allant un peu plus dans le centre, on peut y trouver trois écoles, une pour chaque cycle d'une scolarité classique. C'est un petit village sans problème, sans délinquance, dénuée d'histoire, où la paix semble régner. Enfin, c'est ce qu'il en déduit lorsqu'il entend Tante SaeJin lui raconter ses journées. D'ailleurs, sa voix est la seule qu'il entend ; la seule qu'il supporte.

Il suit ses cours à domicile, par correspondance. C'est lui qui l'a choisi, juste après effectué sa première année au collège de la ville. Cet Enfer là, il ne l'aurait revécu pour rien au monde. Tante SaeJin n'était pas tellement d'accord au début, mais il a fini par avoir gain de cause. Elle n'avait eu en réalité pas tellement le choix. Car même de force, il n'y serait pas retourné. D'ailleurs, il ne va plus nulle part. Ou plutôt, il ne va plus là où il est susceptible de croiser un être humain, quel qu'il soit.

Alors, il profite de la nuit tombée pour s'échapper. Lorsque qu'il est certain que chaque foyer aux alentours dort paisiblement. Jusque-là, il n'a jamais rencontré d'âme errante dans ses rues. Ni même sur la plage de galets sur laquelle sa fenêtre donne. C'est donc le seul instant de la journée où son esprit s'apaise machinalement, comme si son monde à lui était en complète opposition, parallèle à celui de tous les autres.

Comme chaque soir, avec ces gestes devenus une routine, il s'empare de son téléphone et de ses écouteurs, qu'il fourre dans sa poche à la hâte. Il étouffe, il lui faut de l'air. Il enfile son sweat par-dessus son tee-shirt, passe un jogging qui gisait au sol, puis ouvre grand la fenêtre. Il s'engouffre par l'ouverture et atterrit sur les galets, en envoyant certains valser bruyamment.

Ce soir est une nuit sans lune. Elles sont rares, et un sentiment d'incertitude l'envahit à chaque fois que cela se produit. Les rayons de l'astre blanchâtre sont absents, et l'atmosphère en devient complètement changeante. Différente. Au lieu d'une mer aux éclats scintillants, seule une étendue sombre s'offre à sa vue qui peine à s'habituer à l'obscurité. Cette nuit, arriver jusqu'aux rochers ne sera pas une mince affaire. C'est là-bas qu'il se rend, il connait le chemin par cœur. Ses jambes le guident d'elles-mêmes, sans qu'il ait à réfléchir, vers cet immense barrage de roches sombres, délimitant la mer des quartiers résidentiels.

Parfois même, quand le besoin d'espace devient douloureux et oppressant, l'envie lui prends de grimper jusqu'à la falaise. Celle-ci, élevée et vertigineuse, offre une large vue dégagée sur la crique dans laquelle se trouve son quartier.

Alors qu'il avance à pas prudents à travers la noirceur, empruntant le petit sentier que ses pas avaient sillonnés au fil des années, une bourrasque vient le heurter et le fait tituber. Il fait plus froid qu'il ne l'aurait pensé. Ses doigts commencent doucement à s'engourdir à cause de l'air marin, frais et humide. Mais peu importe. Il sort maladroitement ses écouteurs de sa poche puis lance la première musique qui lui vient. Une incroyable sensation s'empare de lui, lorsque les notes mêlées au sifflement du vent tourbillonnent à ses oreilles dans une curieuse harmonie.

Please don't see
Just a boy caught up in dreams and fantasies
Please see me
Reaching out for someone I can't see...

Il avance un moment à travers l'obscurité, tandis qu'il s'éloigne toujours un peu plus, qu'il s'échappe toujours plus loin. Ses yeux, désormais habitués, lui permettent de distinguer au loin la masse de roches entassées.

Il y est enfin. Saisit d'un étrange soulagement, il enjambe une à une les crevasse entre chaque rocher. Naturellement habile et rapide dans ses mouvements, cette fois, il prend son temps, déstabilisé par les rafales qui le font vaciller. Et puis il trouve sa place, son endroit. Un rocher un peu plus plat et surélevé que les autres. Comme il s'y attendait, la vue est décevante. Et pourtant, ce même sentiment d'évasion fait son chemin jusqu'à son esprit. Il replie les genoux contre son torse, entoure ces derniers de ses bras, et ses yeux voyagent sur l'étendue houleuse. Le bruit des vagues embrassant la roche; le parfum iodé; le sifflement de l'air contre sa peau rosie par le froid...

Et puis les étoiles. Une immensité de minuscules points scintillants. Comme des millions de milliards de paillettes sur une toile bleutée. Hypnotiques, fascinantes, mystérieuses. Si lointaines et pourtant si proches. Les quelques nuages grisâtres ne gâchent en rien le spectacle qui se reflète dans ses grands yeux noisette.

Son regard dérive sur sa gauche, puis à sa droite, s'arrête, et se fige un instant. À une vingtaine de mètres, sur les rochers, une forme indéfinissable attire son attention. Il pense alors à une balise échouée, ou bien une branche de bois flotté qui, rejetée par la mer, s'est accrochée au rivage.

Et puis un son, lointain, étouffé, rauque, filant à travers deux coups de vent, tranche la nuit sombre et parvient difficilement à ses oreilles.

"Il y a quelqu'un ?"

Bеγoηd thе  words • Kth ◦ JjkWhere stories live. Discover now