Rem le rassure.

- T'en as déjà fait beaucoup. Agathe et moi, on s'occupe de dégager la route, Samuel t'aidera à porter Enzo. T'inquiète pas pour lui, on l'emmènera directement à la clinique où bosse sa mère, elle est de garde en plus.

- Elle connaît bien mon oncle... ça va faire du foin cette histoire ! Enfin tant pis, Max a été trop con dans ce coup là...

Bonne mentalité, j'apprécie le dernier commentaire. Tout le monde ne se mouillerait pas comme Pierre. Beaucoup détourneraient le regard et se laveraient les mains des conséquences pour la Socquette. Nous nous engageons à sa suite dans l'escalier. Dès que nous parvenons au rez-de-chaussée, la musique nous explose aux oreilles. Rien ne filtrait depuis l'extérieur. L'insonorisation, efficace, évite de gêner le reste du quartier.

Une odeur très spécifique chatouille mes narines. Il ne se fume pas que des choses licites ici... La maison est pleine à craquer. Je souhaite bien du plaisir à la pauvre femme de ménage demain. Nous traversons un couloir et j'observe pas mal de monde avachi, sur les sièges, canapés ou par terre. Les regards errent dans un vide sidéral... D'autres s'excitent, verre à la main, au son de la sono qui hurle encore plus fort qu'eux. Pas le genre de soirée qui m'attire, je déteste ce bruit qui défonce les tympans. Pierre nous entraîne. Nous empruntons un escalier monumental et, malgré moi, j'admire la superbe rambarde en fer forgé. Nous nous frayons un chemin entre les personnes échouées au gré des marches. La descente promet quelques soucis avec un poids mort en plus.

A l'étage, nous pénétrons dans ce qui ressemble à une suite parentale au confort luxueux mais pas tape à l'œil. J'adorerais profiter d'un lit aussi grand avec possibilité d'étendre mon fabuleux petit corps dans la largeur. Le fameux Max, peu soucieux de l'intimité de ses parents, n'a pas envisagé de verrouiller certaines pièces. Une porte s'ouvre sur une immense salle de bains à la somptueuse mosaïque et j'aperçois Enzo. Mon cœur manque un battement. Recroquevillé à l'angle de la baignoire et du mur, les genoux contre la poitrine, son teint terreux et moite m'alarme. Les yeux fermés, il ne répond pas aux sollicitations de Pierre. Nous restons pétrifiés et Samuel réagit en premier. Agenouillé à ses côtés, il réclame une serviette trempée d'eau froide qu'il applique sur le visage et la nuque de la Chaussette. Puis notre infirmier improvisé assène quelques gifles, pas trop appuyées. Son sang froid m'impressionne. Enfin Enzo ouvre les yeux, bat des paupières et identifie le garçon penché sur lui. Il tente la voix faible avec de grosses difficultés pour articuler :

- Sam... Samuel ! Pourquoi t'es là ?

- Je traînais dans le coin... Il faut te lever Enzo, qu'on se barre d'ici. Sasha t'attend depuis des heures.

Le ton ferme interpelle la Chaussette qui, paumée, échoue à reprendre ses esprits et se justifie, comme obsédée par une idée.

- Je voulais pas... rester. Je te jure, j'ai rien picolé. Tu diras rien à Agathe, hein ? Tu diras rien ?

Avec Rem, j'échange un regard qui en dit long. Enzo en plein « bad trip », ne remarque même pas notre présence. Craint-il donc autant mon jugement ? Il n'est pas fautif, sauf si je considère le choix de ses fréquentations, mais si je tombe sur les abrutis criminels qui lui ont fait ça, j'en fais de la pâtée pour cabot. Je serre les dents et je sens les doigts de la Salade se poser sur mon poignet. Il lit en moi, la colère, la rage qui monte et souffle :

- On sort Enzo d'ici en douceur, après Marc s'occupera du reste. Ok ?

Bien sur. Marc, le Black Swan. Rem, comme toujours respectueux des règles, exige une réponse. Sans sa présence, je serais tentée de les bafouer. Je ne possède pas sa maturité, son recul sur la situation. L'envie de dégommer les responsables me domine. Bouclette Sauvage souhaite que je reste en retrait car je suis mineure, tout comme Samuel d'ailleurs. En cas de dérapage intempestif, mon père apprécierait peu s'il apprenait que je traîne dans ce genre de soirée au milieu de la nuit. Pour le moment, le principal problème se résume à sortir Enzo d'ici. Nous argumenterons plus tard sur la nécessité de massacrer, ou pas, les coupables. Je cède, à contre-cœur.

- Ok.

D'un autre côté, si quelqu'un tente de nous barrer la route, je pourrai toujours me laisser aller. Aidé de Pierre, Samuel entreprend de relever Enzo. La Socquette, tout en muscle, pèse des tonnes et les deux garçons en bavent tandis qu'il poursuit son curieux monologue et ses supplications. Pierre précise :

- On va prendre l'autre escalier. Il rejoint l'arrière cuisine. Avec un peu de pot, on pourra dégager par la porte fenêtre sans être surpris...

Excellent choix. Personne dans les parages, mais la descente s'avère bien compliquée avec Enzo. Pierre et Samuel suent sang et eau. Je ferme la marche au cas ou... Arrivé en bas, Rem ouvre la porte avec prudence. Nous débouchons dans une sorte de réserve. Là, prudent, Pierre nous demande de vérifier la cuisine. Une vaste pièce, à l'ameublement très moderne avec un énorme îlot central surmonté d'une hotte chromée. Vide pour l'instant. Rem se précipite pour faire glisser la grande baie vitrée. Mauvais timing, Enzo choisit son moment pour plier les genoux et Samuel le pose in extrémis sur un tabouret. La Chaussette, épuisée et blême, garde la tête appuyée contre la poitrine de son porteur et s'accroche à son tee-shirt. Pierre grimace.

- Faut qu'on dégage vite fait...

Rem s'apprête à prendre le relais et à épauler Enzo quand une voix nasillarde interrompt son geste :

- Pourquoi partir si vite le cousin ? Tes amis pourraient boire avec nous !


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