La brûlure

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— Mais, si tu m'avais appris, je n'aurais pas commis l'erreur d'invoquer cette... créature. Et surtout, peut-être que j'aurais pu la contrôler ?

— Aucune chance, mon trésor. Tu n'as rien invoqué. Tu n'as fait que provoquer ce qui était inéluctable. Qui sait quelles erreurs plus graves tu aurais commises en pensant pouvoir la contrôler, en ressentant l'ivresse du mage ?

— L'ivresse du mage ?

— Un effet secondaire de l'usage immodéré de la magie. Certains sorciers ne s'en remettent jamais. J'en ai connu un...

Morwan parut songeur.

— Il y a autre chose... murmura Dérycée.

L'image du grimoire en partie brûlé trouvé dans la bibliothèque de Gan Raez lui revint en mémoire.

— ... la place du mage, ajouta-t-elle à voix basse.

Morwan tiqua.

— Qu'est-ce que tu as dit ?

La jeune fille se figea. Son père la scruta comme s'il cherchait à lire dans son esprit. Enfin, il se leva et, avant d'arriver à la porte, se retourna.

— Ce n'est pas « la place », fit-il sur un ton de reproche. Tu te trompes dans ta traduction. C'est « le rôle », dans le sens de « responsabilité ». La magie... est comme la nature. Elle a horreur du vide. Rien de ce que tu crées ou utilises n'apparaît ex nihilo, ma fille. L'énergie se déplace, et se compense. Voilà pourquoi, plus tu te sers de la magie, plus tu génères de... de l'anti-magie.

Morwan fit un geste de la main pour clore le sujet. Avant de sortir, il ajouta :

— Peu de mages en sont conscients. Mon maître, le vieux Gereg, m'avait chargé d'une étude sur le sujet. C'est une longue histoire, soupira-t-il. Repose-toi.

Sa réponse la laissa aux prises avec divers sentiments, entre inquiétude et curiosité.

Le lendemain, Dolfi lui apporta un parchemin roulé dans un tube de bois. Intriguée, la jeune fille le déroula et parcourut les lignes gravées en pattes de mouches. Il avait deviné son angoisse. Elle releva le nez avec un sourire triste.

— Un sort de contrôle élémentaire ?

— Ne le prends pas mal surtout ! se défendit le garçon, conscient que son geste pouvait être mal interprété. Je ne veux plus que tu cries la nuit pour échapper au souvenir de cette chose.

Dérycée contempla les symboles et formules ésotériques.

— C'est... gentil, parvint-elle à articuler.

— Apprends-le par cœur. Plus aucune créature de cette engeance ne pourra jamais te brûler à nouveau.

Elle lui sourit tristement. Dolfi n'avait pas compris à quelle créature ils avaient eu affaire, mais elle n'eut pas le courage de lui en révéler la nature. Autant lui laisser croire à un simple élémentaire de feu. Lui avouer qu'un démon se promenait désormais en liberté, par sa faute à elle, parce qu'elle n'avait pas daigné écouter les conseils avisés de son aîné, c'était au-dessus de ses forces. Elle regrettait tellement sa bêtise et, malgré elle, en voulait aussi à ce provocateur de Corusco pour tous les ennuis que son défi leur avait causés.

— Dis-moi, Dolfi...

— Oui ?

— Tu te souviens de l'inconnu qui nous a sortis de l'ermitage ?

L'apprenti contourna le lit pour s'asseoir à côté d'elle.

— Le beau tout nu ? ironisa-t-il.

— Euh... si tu veux, oui. N'en parlons plus.

Dolfi la taquina un peu, heureux de pouvoir la dérider.

— On en a parlé à Morwan. Je te dis pas les débats ésotériques qui ont suivi entre les maîtres. Chacun y allait de son interprétation, avec force références à des traités occultes...

Dolfi mima les postures et façons de parler de chacun des trois mages, remportant un sourire de la changeline pour son interprétation magistrale de Gan Raez.

— Une prrrrojection onirrrrique, selon l'Arpenteur... Un incarnat de divinité primaire, pour Harlinetuiz ! Un esprit féerique sauvage, d'après ton père.

— Et toi ? Tu en penses quoi ?

Le garçon haussa les épaules.

— J'en sais rien. J'en pense que tu as une bonne étoile qui veille sur toi.

Si seulement, songea la jeune fille en fermant les yeux.

— Merci Dolfi, murmura-t-elle.

Il lui caressa la main avec douceur.

— Si je croise notre sauvage dans les bois, je lui dirai que tu veux savoir son nom, fit-il avec un clin d'œil.

— Si tu retournes dans les bois, rapporte-moi des nouvelles de Ruz, surtout. Voilà des jours qu'on ne l'a pas revu.

Le Tombeau des Géants - 1 - La changeline et l'androloupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant