La clef de Bélial

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 Corusco dissimula hâtivement la besace dans son dos.

Le Maître-arpenteur avança dans la lumière en lissant sa broussailleuse moustache blonde.

— Quel est le châtiment prrévu au rrèglement pour ce genrre de transgrression ?

Les trois apprentis échangèrent des regards angoissés.

— La chambrière... murmura Dolfi en gardant les yeux au sol.

— C'est vrraiment ennuyeux de devoirr rréveiller votrre maîtrre en pleine nuit pourr lui annoncer une nouvelle aussi désagrréable. Tsss. Alorrs, expliquez-moi ce que vous faites dans ma bibliothèque ?

Dolfi se porta au-devant du groupe.

— Pardon, maître Gan Raez. C'était mon idée...

— Quel genrre d'idée ?

— Nous cherchions un... une recette pour...

— Pour réparer une peine de cœur qui torture notre gentil Corusco, enchaîna Dérycée avec une œillade narquoise à l'attention du cadet.

Gan Raez parut surpris.

— Oh, oh. Petits coquins ! Il est interrdit d'user de magie pourr séduirre les jeunes filles ! C'est écrrit clairrement dans le codex de déontologie. Morrwan vous a pourrtant bien expliqué ce genrre de détails !

— C'est un peu gênant... poursuivit Dolfi. Il ne s'agit pas de séduire une jeune fille, mais plutôt de... euh...

— De réussir à la contenter ! improvisa Dérycée.

Corusco étouffa un juron outré mais, devant le regard autoritaire de son aîné, garda le silence.

— Oh là la ! Un retardateur de... hmmm... ahem... moui, je comprends... Mais, tu n'es pas un peu jeune pour te préoccuper de ce genre de chose ? fit-il en se penchant vers Corusco.

Dérycée luttait pour conserver un masque d'impassibilité contrite. Intérieurement, la jubilation le disputait à l'hilarité.

Le mage observait Corusco avec un œil paternaliste. Il parut traversé par des sentiments contradictoires. Après un moment de réflexion, il fronça les sourcils.

— Corrusco, montrre-moi ce que tu dissimules.

Dérycée avala sa salive et sentit une ligne de sueur couler dans son dos. Si Gan Raez découvrait le livre, ils seraient bons pour la punition et l'opprobre public. Rien que de penser à la réaction de son père quand il apprendrait leur forfait, elle sentait la honte l'envahir. Elle fixa Corusco avec appréhension. Le garçon capta son regard et lui sourit. Il dégagea ses bras et leva ses mains vides devant lui. Le mage arqua un sourcil étonné puis hocha la tête d'un air satisfait.

— Bien, la faute n'est peut-êtrre pas si grrave. Allez vous coucher, nous en reparlerrons demain avec votrre maîtrre.

Dolfi présenta de nouveau des excuses et prit le bras de la demi-fée pour l'entraîner vers la sortie. Ils passèrent le rideau et s'apprêtaient à quitter la pièce quand la voix du mage les rappela. Dérycée retint sa respiration.

— Le secrrret pour contenter les jeunes filles ne se trrrouve pas dans les livrrres ! Mais dans la prratique... ah la jeunesse, ponctua-t-il sa phrase pour lui-même.

Arrivés dans le couloir, tous trois expirèrent bruyamment. La porte se referma en claquant et ils prirent leurs jambes à leur cou. Une fois dans la cour, Dolfi attrapa Corusco par la capuche.

— Petite vermine, qu'est-ce que t'as fait du livre ?

Le cadet fit un signe du doigt vers sa manche.

— Non ! Comment t'as fait ça ?

— La « besace des plans dimensionnels » de Carolus Minus. Je l'ai empruntée à Kénil... discrètement.

Dérycée ouvrit une bouche toute ronde.

— L'artefact magique de Kénil ! Il y tient plus qu'à son prénom ! Tu lui as volé ?

— Je vais lui rendre, petite fée ! se défendit le garçon. Sans cet objet, on serait bons pour le conseil de discipline, à l'heure qu'il est, alors te plains pas.

— Sans ton idée de génie, on ne serait pas à deux doigts de passer notre été à récurer toutes les étables du pays avec interdiction de prononcer le moindre mot latin ! Je n'ose pas imaginer ce qui nous attend demain, quand Morwan sera mis au courant !

— Dis donc, t'étais bien d'accord pour aller y faire un tour, dans cette bibliothèque !

— Arrêtez ! intervint Dolfi.

Dérycée leva les bras au ciel.

— Corusco, tu dois aller rendre la besace sans te faire voir. Et tu vas nous confier le grimoire. Il faut le dissimuler le temps de décider ce qu'on en fait. Si jamais Gan Raez s'aperçoit qu'il a disparu, on est cuits !

Les deux garçons acquiescèrent. Le plus jeune tira de sa manche le sac chiffonné. Il paraissait totalement vide, mais dès qu'il plongea la main à l'intérieur, la poche enfla comme une voile tendue par le vent. Les contours du grimoire se dessinèrent sous le tissu et il dut tirer de toutes ses forces pour extirper l'objet.

— Sacré travail, admira Dérycée en contemplant l'artefact. Kénil est désormais un vrai magicien.

— Lui, ponctua Corusco avec malice.

Dolfi s'empara du volume avec un regard désapprobateur.

Théorie des arcanes élémentaires, volume 4, le feu, lut-il avec appréhension. Allez, je m'occupe du livre. On en reparlera demain.

Il tourna les talons comme s'il avait le feu aux braies. Dans son empressement, il laissa échapper le grimoire, le rattrapant de justesse avant qu'il ne s'écrase au sol.

— Eh ! Fais un peu gaffe, s'emporta Corusco.

— Ce bouquin est possédé, se défendit Dolfi.

Comme les deux garçons s'éloignaient en s'invectivant, Dérycée fut attirée par un éclat brillant au sol. Une minuscule clef, comme celles dont on se servait pour les serrures des gros ouvrages secrets, traînait par terre. Elle se demanda si elle n'avait pas glissé du fermoir du livre. En la soupesant, elle ressentit comme un appel lointain, une voix céleste, rassurante et chaleureuse, mais aux paroles incompréhensibles. Magie, songea la jeune fille. Elle glissa l'objet dans sa chemise et se promit d'en parler aux garçons dès le lendemain.

Le Tombeau des Géants - 1 - La changeline et l'androloupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant