Alexander tendit sa main à Mary pour l'aider à monter. Avec une grâce presque divine, elle agrippa délicatement son poing et franchit la petite marche en métal devant la porte. Puis Harold entra en grognant, comme les veilles personnes qui font un effort sur-humain.

Vint le tour de Célia.

Par courtoisie plus que par plaisir, le beau fiancé lui montra sa main, mais Célia ne la lui toucha pas et entra dans le fiacre, ignorant Alexander de la manière la plus impolie du monde. Étrangement, cela fit s'inscrire sur sa mine sévère et atrocement pâle un sourire en coin. Célia le remarqua bien quand il monta dans la voiture à son tour et elle prit ce signe comme un acte de pur dédain. Néanmoins, cette fois, elle ne lui en tiendrait pas rigueur, elle l'avait un peu provoqué.

Au bout de plusieurs minutes, l'équipage partit du port pour se rendre à la gare. Les fous rires des passants devant cet étrange attelage qui transportait deux fois son volume en malles et en sac n'égaya en revanche pas plus les visages ternes de ses passagers et le silence régna en maître durant tout le trajet.

Le Darjeeling-Express était un train majestueux. Ses huit wagons noirs impeccables mesurant chacun plus de vingt mètres et prolongés à l'avant par une locomotive immense aux roues scintillantes en faisait sans conteste le plus beau train du pays. Ses grandes fenêtres devaient rendre les cabines lumineuses, bien que Célia s'inquiéta sur le fait qu'elles pouvaient aisément laisser passer quelqu'un à travers. À Londres, les fenêtres de trains ne s'ouvraient pas totalement. En revanche, ici, il suffisait de coulisser la vitre pour les ouvrir en grand. Cela avait l'air un peu dangereux pour Célia qui ne s'en retrouva pas rassurée.

Le train partait de Bombay et son itinéraire le faisait passer par plusieurs grandes villes intérieures dont Poona, Aurangābād, Nagpour, puis il rejoignait directement Allāhābād avant de longer le Gange jusqu'à Patna où il traversait le fleuve avant de terminer à Darjeeling. C'est à cette ville que la famille se rendait, les Butler habitaient là-bas depuis longtemps et on avait décidé d'y marier Mary et Alexander, contre l'avis de Célia qui détestait voyager.

Autour du train, les gens grouillaient. Toutes les classes sociales et toutes les nationalités étaient réunies. Il y avait bien sûr des Indiens, mais Célia put entendre quelques Français parler entre-eux et, évidemment, beaucoup d'Anglais. La plupart prenait d'ailleurs le train et il y avait un monde fou qui montait à bord Darjeeling Express. Ce n'était pas pour rien qu'il était aussi grand, car, de toute évidence, il était très utilisé.

Affamé par ce long trajet en fiacre, Célia acheta une galette de pain aux épices à un jeune enfant et y mordit à pleines dents en faisant tomber quelques miettes sur sa jolie poitrine. Elle balaya les résidus de son chemisier et se tourna tranquillement vers le train, lorsqu'elle aperçut Alexander qui la regardait d'un air dédaigneux.

Cet homme était vraiment son pire cauchemar. Jamais elle ne pourrait s'entendre avec lui.

Au bout du compte, le fiancé détourna ses yeux bleus des siens et monta dans le train, laissant les employés s'occuper de ses bagages.

« Célia, fit Mary à sa jeune sœur. Il faut que je te le dise.

— Quoi donc ? demanda-t-elle en mâchant son pain.

— Je sais ce qu'Alexander va m'offrir comme cadeau de mariage, répondit-elle toute excitée.

— Vu ta tête j'imagine que c'est un beau cadeau ?

— Il s'agit d'une sculpture de Sir Arthur Cammeron. Tu te rends compte, elle vaut plus de 30 000 Livres. Il pense que je ne suis pas au courant alors, silence !

Tea & Coffee : Le Crime du Darjeeling-Express (livre I)Where stories live. Discover now