— Très distinguée », répliqua Alexander sans laisser passer la moindre expression sur son visage.

Célia fixa le grand homme qui ne détourna pas son regard du port de Bombay que l'on pouvait enfin apercevoir à l'horizon. Elle leva les yeux au ciel et décida de ne pas répondre à son attaque. Il faisait exagérément chaud et elle se sentait trop faible pour riposter.

« S'il vous plaît, ne vous chamaillez pas encore, demanda Mary sur un ton agacé. Vous serez bientôt de la même famille. Il faut vraiment que vous commenciez à vous entendre tous les deux. »

Mary était une femme de vingt-quatre ans à la beauté réputée et aux yeux gris, de la même couleur que ceux de sa mère. Pourtant contre toute attente, elle accepta la demande en mariage d'Alexander, bien qu'il fut plus âgé qu'elle de dix ans.

Lui aussi était bien loti. C'était un homme d'une rare beauté, gravement entachée par le fait qu'il ne souriait que très peu. Ses cheveux noirs ondulés lui tombaient un peu en dessous des oreilles et sa barbe habilement taillée en forme de rouflaquettes cachait joliment sa mâchoire un peu trop anguleuse. En plus d'un agréable visage, sa silhouette, mince mais vigoureuse, s'accordait parfaitement à son allure de beau ténébreux et c'était sans gêne que le monde se plaisait à le complimenter sur son physique.

Il était parfait.

Toutefois, la plus jeune sœur ne l'aimait pas beaucoup, quoi qu'elle avait un petit faible pour ses yeux d'un bleu très profond et intelligents — voire fourbes selon les dires de Célia. Froid et calculateur, elle ne comprenait pas l'engouement de Mary pour cet être.

Sa sœur et lui s'étaient tous les deux rencontrés dans un restaurant renommé de Londres et, bien que leur mariage fut on-ne-peut plus précipité par leurs familles respectives qui virent toutes deux un moyen d'améliorer leurs échanges commerciaux, Mary en était ravie. Désespérément tombée amoureuse de cet homme, elle était très excitée par cette union. De son côté, Célia était plus sur ses gardes. Lorsqu'ils se fiancèrent, elle était en déplacement chez sa tante. Nul doute que si elle en avait eu l'occasion, elle aurait parlé de sa crainte à sa sœur quant au fait qu'Alexander serait suffisant pour faire son bonheur. Cependant, la voyant aussi heureuse, Célia ne lui avait jamais rien dit et se contenta de les regarder de loin, en les critiquant silencieusement, mais non sans affirmer son désaccord face à cette future union. Le bonheur de Mary n'empêchait pas Célia de se disputer constamment avec son fiancé, quoi qu'elle restait relativement courtoise envers lui en présence de sa sœur. Tous les deux avaient un caractère bien trempé et se ressemblaient beaucoup sur plusieurs points. Par conséquent, tels deux aimants de même pôle, ils se repoussaient l'un et l'autre.

Célia était très intelligente et indépendante, c'était peut-être ce qui rebutait le plus Alexander. Depuis que le père de cette dernière, Mister Harold Campbell esq, était tombé malade, c'était elle qui s'occupait principalement de l'entreprise. Elle la dirigeait d'une main de fer, laissant très rarement le futur époux s'approcher de ses actions commerciales, ce qui, bien entendu, énervait passablement le fiancé. La compagnie Campbell était d'ailleurs la source principale de leurs constantes disputes. Les Butler n'étaient pas des rigolos et Célia les empêchait ardemment de mettre leur nez dans leurs affaires, déjà à cause d'un manque de confiance évident envers eux, mais également de son entêtement à toujours vouloir tout faire seule. Et c'était là le moindre de ses défauts. Son zèle, son égoïsme et sa rudesse avaient également sérieusement entaché sa réputation de « femme à marier ». Ne lui déplaise, elle aimait son indépendance.

Voyant que sa sœur était sérieuse lorsqu'elle disait que leurs chamailleries l'agaçaient, Célia leva un peu la tête et la regarda droit dan les yeux.

Tea & Coffee : Le Crime du Darjeeling-Express (livre I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant