5. Souvenirs

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Accoudée au bastingage, Victoire regardait l'agitation du pont avec fascination. Depuis les quais de la Seine, elle avait déjà contemplé à de nombreuses reprises le ballet des roues à aubes et des crachats de vapeur. Mais c'était la première fois qu'elle se retrouvait ainsi immergée au cœur de l'action.

Charles, lui, enfermé dans leur cabine, réfléchissait, et nul n'aurait su dire qu'elle était la teneur de ses pensées. Il semblait en proie à une intense réflexion. Toujours sur le qui-vive. Son inquiétude avait fini par déteindre sur la jeune fille, et une peur sourde broyait son ventre en continu.

Voilà deux jours qu'ils avaient quitté Paris. Charles lui adressait peu la parole. Elle aurait voulu demander des explications, mais elle n'en avait pas le courage. Malgré la légère inquiétude qu'il continuait de lui inspirer, malgré le mystère qui l'entourait, elle commençait à lui faire confiance. Elle parvenait maintenant à le tutoyer sans avoir à se reprendre.

Les humeurs de la Seine lui soulevaient le cœur presque autant que le manque de sa famille. La nuit tombait doucement, les étoiles montaient dans le ciel. Victoire sourit avec nostalgie. Lorsqu'elle était petite, elle croyait que c'était son père qui les allumaient. Juste pour elle. C'était d'une logique implacable, dans son esprit d'enfant. Il illuminait Paris, ses rues, et son ciel.

À présent, une menace mortelle pesait sur elle, et le ciel en semblait ternit. Toutes les étoiles du firmament ne suffirait pas à ôter ce poids d'inquiétude et d'absence qui comprimait son âme.

Elle entendit des bruits de pas résonner sur le pont, la tirant de ses pensées. De longues minutes s'écoulèrent.

Elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que l'homme à la redingote se tenait derrière elle. N'importe qui d'autre aurait déjà entamé une discussion. Mais au jeu du silence, Charles était un maître. Son mutisme en disait long. Elle savait qu'il attendait qu'elle se retourne, et il savait qu'elle le savait.

Victoire restait cependant les yeux tournés vers la rive qui se noyait dans les ténèbres. Durant un instant, elle s'interrogea sur la raison de son mutisme. Demeurait-il silencieux par crainte de déranger, ou simplement parce qu'il n'avait rien à dire ?

Elle attendit qu'il cède, il attendit qu'elle cède.

Un sourire moqueur s'était dessiné sur les lèvres de Charles. Il s'appuya à son tour à la balustrade.

— Où allons-nous ? finit-elle par demander.

Il aurait aimé lui répondre. Mais lui-même ne savait même plus où il en était. Alors quand à savoir où ils allaient...

Les contours d'un port se dessinèrent soudain sur la rive, lui ôtant la tâche de répondre.

— Le bateau s'arrêtera ce soir, il doit récupérer un chargement demain à l'aube.

Elle hocha la tête, notant mentalement qu'il avait esquivé la question.

Le panache de fumée redoubla avec un cri strident, et le bateau à vapeur jeta l'ancre.

— Charles ?

— Oui ?

— Tu ne m'as toujours pas dit pourquoi ce Dragan de Bérily me cherche. Ce que je possède.

Charles soupira.

— Victoire, c'est compliqué. Je ne connais pas tous les détails, loin de là.

— Dis-moi au moins ce que tu sais.

— Bien.

Le jeune homme prit une profonde inspiration. Il appréhendait sa réaction.

Engrenages Pourpres [Terminé - En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant