Quatre - La framboise

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  Tom sentait les effets de l'âge lui peser, aussi il attendit que la chaleur se dissipe pour travailler à l'amélioration de son triste campement. Avec quelques caisses en bois qu'il glissa sous sa toile, il s'arrangea un plan de travail laissé pour l'instant vierge de tout instrument. Il déploya les capteurs solaires du vaisseau et entreprit de sortir un condensateur d'eau. Ses réserves étaient encore confortables, mais prévoir était dans sa nature.

  Une sonnerie se déclencha à bord du vaisseau. Tom arrêta sa manœuvre et se rendit devant la console médicale pour la faire taire. Il sortit une seringue de sa boîte et s'allongea sur sa couche. En s'injectant le liquide, il sentit le sommeil le gagner.

*

* *

  L'inspiration était dense, profonde. L'expiration tressautait en ronflants rebonds. La sudation transpirait jusqu'au nez d'Occhikiymelti. Pas de doute, l'homme s'était assoupi. À pas feutrés elle approcha de la tonnelle et examina les caisses, le hamac, la toile. Rien de bien utile.

  Elle s'approcha du monstre-métal et laissa sa main y courir. Il était encore chaud d'avoir absorbé le soleil, presque trop pour la fine peau de la jeune femme. La course était lente, parfois déviée en soubresauts maladroits lorsque la main était trop appuyée. Occhikiymelti risqua un choc léger. La paroi lui répondit en murmure comme pour ne lui parler qu'à elle, une résonance subtile mais profonde, interminable. Les coupeurs se seraient délectés d'un métal de cette qualité, et le clan aurait pu le troquer au prix fort. Avec un morceau même ridicule, elle aurait pu faire une offrande mémorable au Maharety, peut-être même lui parler.

  Elle inspira profondément, submergée par l'acidité du métal. En fond, elle retrouva pourtant cette odeur incongrue. Elle la connaissait, mais elle ne lui semblait pas à sa place. Sans contexte, elle avait du mal à l'isoler. Elle creusa pourtant à grand renfort de poumon et d'écarquillement des narines.

  La framboise, cela sentait la framboise. L'odeur était presque imperceptible, cachée derrière une foule, mais elle était là. Les volants-géants étaient donc friands de fruits des bois. Occhikiymelti chassa son étonnement et sortit de sa sacoche un parchefum qu'elle frotta délicatement contre l'acier. Elle vérifia avoir bien emprisonné l'odeur sur le papier. Elle sourit. À l'écrit, cela pouvait signifier : tu m'irrites.

  Un mouvement la fit sortir de son analyse, l'homme se réveillait. Elle rangea le parchemin et sans un bruit regagna la branche qui lui servait d'observatoire.

*

* *

  La nuit tombante, Tom se prit au jeu de manger presque allongé, le regard sautant avec le scintillement des étoiles. La dernière bouchée en main, il entendit le son des réacteurs de Buck. Le drone freina violemment en flammes devant le vieil astronaute et resta planté devant lui, attendant un ordre. « Reste pas planté là p'tit gars. Tu dois être épuisé, va te recharger ».

  À bord du vaisseau, Tom analysa les données récoltées par le drone. Il n'avait pas chaumé durant la journée, une cartographie détaillée des environs, un relevé météo, et d'un bon nombre de photographies. Deux sortaient du lot. L'une donnait à voir un groupe de personnes observant le drone près d'un village. L'autre était une image thermique des autours du vaisseau, la principale source de chaleur étant la navette elle-même. Une silhouette orangée apparaissait cependant proche de la clairière.

  Dans un tiroir il trouva une arme et la glissa dans l'une des poches de sa cape. Il n'avait pas particulièrement peur, mais prévoir était dans sa nature. Il jeta un œil au-dehors, livré au silence, tapota sur son ventre et actionna la fermeture de la rampe de sortie.

***

  Tom rencontra Occhikiymelti au petit matin. D'abord, il l'aperçut à l'autre bout de la clairière, plantée là à le regarder sans rien faire. À ce moment, il avait la main dans la poche, doigts crispés. Elle leva les siennes en signe de reddition et fit trois pas en avant. Le vieillard ne réagit pas, elle avança.

  Elle était grande, quand bien même Tom s'était tassé au fil des ans. Sa marche était fluide, trop pour paraître naturelle. Une attache tenait ses cheveux en tresse démesurément longue. Blond presque blanc, le crin reflétait le soleil en flash. Une apparition irréelle pour un vieux spationaute. Elle ne représentait pas le danger, comment le pouvait-elle d'ailleurs si elle n'existait pas ? Tom se frotta les yeux, son traitement ne provoquait pas d'hallucinations pourtant. Il attendit.

  La jeune femme s'arrêta suffisamment proche pour qu'il puisse la détailler. Un unique détail, ses yeux. Ni la couleur ni la pupille ne l'aspirèrent, avec le bon génoticien et une sacrée somme d'argent, il était possible de leur donner n'importe quel aspect. En revanche, il était une chose qu'on ne pouvait changer par la technique : le regard. Le sien retenait, s'insinuait, donnant l'impression de tout voir pour tout savoir. Tel le geôlier, elle fut la seule à pouvoir ouvrir la porte pour laisser le vieux en sortir à nu.

  Il n'avait rien à lui prouver, elle savait ce qu'il était. Dire « bonjour » fut la seule chose que Tom sut faire après cela. Lorsqu'il prononça le mot, les yeux de la jeune femme s'arrondirent en question et le charme se dissipa. Ainsi, elle n'était qu'une apprentie, une alchimiste aux pouvoirs balbutiants. Heureusement, Tom reprit ses esprits, il avait bien failli se laisser prendre.

  Il relâcha la pression que sa prothèse exerçait sur le pistolet dans sa poche. Il n'en aurait pas besoin. Les yeux de la sorcière étaient ses armes et il le savait maintenant, sa voix serait la sienne.

  « Me comprends-tu ? »

*

* *

  Occhikiymelti avait déjà entendu le vieillard parler, mais sa voix ne portait pas, pas plus qu'elle ne le faisait à présent. Il sonnait grave, mais sans profondeur. Les cordes vibraient en accord avec le temps, mais ne transportaient rien. La douceur du timbre intriguait la jeune femme, c'était la première fois qu'elle entendait une parole ne pas invoquer le vent, ne pas déchirer ses tympans. L'homme savait prononcer sans écorcher, ce qu'elle avait du mal à concevoir.

  Elle ne comprit rien à ce qu'il essayait de lui dire. Occhikiymelti se laissa simplement bercer par la musique, l'expérience était assez rare pour ne pas en gâcher l'instant. L'homme perdit patience, battit le vide de la main et entra dans le métal-volant. 

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⏰ Last updated: May 29, 2016 ⏰

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Occhi et l'ancêtreWhere stories live. Discover now