Deux - Le parchefum

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  L'appel résonna dans le village et venait du Hoog Ledare. D'un clappement de main, il avait l'attention du village dans son ensemble. Même le Lecitel lui accordait à présent l'entièreté de la sienne.

  Le Hoog fit signe à Occhikiymelti de s'approcher. La jeune femme plaça sa main dans celle que le vieux chef lui tendait, paume vers le haut. La sensation d'une vie, celle du chasseur. Dans le creux foré par le bois de la lance, elle sentit les cals la gratter. Du bout des doigts cisaillés par la corde de l'arc, la saisit. De son autre main, il lui déposa un parchemin taché.

  Délivrée, Occhikiymelti renifla le parchefum. L'exercice était délicat. Une odeur pouvait avoir plusieurs significations à l'écrit, et souvent il lui arrivait de mal interpréter. Celui-ci était toutefois sommaire et pouvait signifier ceci : trouver — l'ancêtre — guider — ici —méfiance — pas — parler — maharety.

  Pour toute réponse, la chasseresse hocha rapidement la tête. Le vieil homme lui signa honneur et prit la direction de la tente du Lecitel.

  Occhikiymelti scruta le ciel, le crache-air chutait vers la forêt. Elle se rendit dans l'arsenal récupérer son équipement et, sens en alerte, se mit en chasse.

***

  Le monstre d'acier s'était posé dans une clairière. Il ne lui fut pas difficile de le retrouver, il empestait plus qu'un coupeur de métal. Au sol, il était étrangement silencieux. Son repos n'était troublé que par le tintement du chaud. Les coupeurs appelaient cela la dilatation. Occhikiymelti n'aimait pas cette odeur, une senteur particulière l'intriguait pourtant. Un effluve épais qu'elle ne connaissait pas. Il lui faudrait la capter dans un parchefum et l'apporter au Lecitel.

  Le corps du métal volant ressemblait à ceux qu'elle avait pu voir en images. Quatre rondins d'acier placés en angles dégageaient plus de chaleur que le reste.

  Un roulis grinçant provint de l'arrière de l'engin. Un large panneau se mit à pivoter sur son axe jusqu'à venir toucher le sol. Un sifflement proche de celui du monstre éclata, quoique moins déchirant. Une miniature à quatre petits rondins émergea. L'acier enfantait !

  Le petit tournoya sur lui-même en crachant le feu, torturant l'air. Le souffle-vent minuscule s'éleva alors haut jusqu'à disparaître.

  La source du vacarme s'était enfin éloignée. Occhikiymelti put regrouper ses sens. Une masse se mouvait dans l'engin d'un pas lourd, disgracieux, peu précis. Le vaisseau transpirait l'humain, un mâle. L'odeur troublait la jeune femme. La sudation et les phéromones qui s'en dégageaient ne pouvaient la trouver sur le fait qu'il s'agissait d'un homme, néanmoins une touche acide et terne troublait l'ensemble. Sans qu'elle arrive à la retrouver, cette odeur ne lui était pas inconnue.

  L'homme sortit de la machine. Claudiquant, il était voûté sous sa cape noire dont rien ne transparaissait. En descendant le panneau métallique, il perdit l'équilibre et partit en arrière. De son bras droit, il se rattrapa de justesse à une barre verticale. Un clinquement étrange, et la manche vola. La main nue fit douter Occhikiymelti de la précision de ses yeux. Sa peau était d'argent, ses phalanges de nuit et ses veines pendaient à vue.

*

* *

  Appuyé au vérin de la rampe de sortie, Tom reprenait sa respiration. Un haut-le-cœur le souleva, le sang s'écrasa au sol. Le vieux pilote s'essuya la bouche du revers de la manche. Il remonta la rampe et se jeta sur une boîte en bois posée en évidence sur une table. Tom en sortit une seringue qu'il se planta dans la cuisse avant de s'effondrer sur sa couche.

  À son réveil il fut surpris de ne s'être assoupi que quelques minutes. La douleur avait disparu. Il sortit à nouveau du vaisseau.

  Du vert, au sol et dans la chevelure des arbres. Un air doux gonfla son torse. Neutre à la première salve puis le mélange l'envahi, trop dense pour qu'il puisse le comprendre mais au goût simple, profond de nature. Enjoué, le vieil homme éleva son regard. Du bleu nappé parfois de blanc, aussi loin qu'il pouvait le voir. Et au milieu, une forme glissait en cercles, battant parfois des ailes pour remonter. L'émotion frappa, l'homme chuta. Paume dans l'herbe, il serra les poings. En se redressant les brins lui restèrent en mains. Il ne put plus le retenir, et le flot coula en larmes. 

Occhi et l'ancêtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant