L'Entre x Mondes X - Pertes

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Déçue et contrariée, elle se laissa tomber sur un des canapés blancs. Emmanuel, fidèle à lui-même resta debout, les mains croisées dans le dos.

Il sembla à Lü que le silence s'était installé depuis une éternité. La fatigue commençait à se faire ressentir et l'odeur des lieux faisait resurgir en elle quelques vestiges du passé. Secouant frénétiquement la tête pour chasser les souvenirs indésirables, elle se redressa. Emmanuel était toujours militairement droit.

- Où est passé Elias ? demanda-t-elle, remarquant l'absence de leur hôte.

- Il s'est éclipsé sans dire un mot.

Lü soupira. Elle n'avait pas envie de le chercher, l'émotion qui la gagnait menaçait d'ouvrir les portes au chagrin, ce qu'elle ne souhaitait pas.

Le bruit de pas feutré se fit entendre et Elias réapparut l'expression indéchiffrable. Dans ses mains une boite en fer.

- Il t'avait laissé ceci. Je pensais te la donner plus tôt mais le temps m'a fait défaut.

Ce disant il tendit l'objet à la jeune femme qui la récupéra la gorge nouée. Elle fixa la mystérieuse boîte, incapable de l'ouvrir. Son cœur soudain lourd l'étreignit, le chagrin de l'absence refit surface et ses mains se mirent à trembler. Au bord des larmes, elle ne vit pas Emmanuel approcher. Elle sursauta à son contact, mais ne lâcha pas le précieux présent. Enveloppée par les bras réconfortant du jeune homme, elle tenta de retrouver un semblant de sérénité.

- Tu n'es pas obligée de l'ouvrir maintenant, lui dit Elias la voix basse, prends le temps qu'il te faudra.

Lü hocha la tête avant de se défaire de l'étreinte sécurisante d'Emmanuel et de le remercier d'un baiser chaste sur la joue.

Soudain une déflagration sourde se fit entendre et le sol se mit à trembler. Au même moment les deux Atgofions se mirent à briller.

- C'était quoi ça ?

- Une explosion je pense.

Loin d'être paniqués, Lü et Emmanuel avaient parlé la voix étrangement calme. Emmanuel s'avança vers la plateforme high-tech et demanda l'autorisation d'y toucher.

- Allez-y, de toutes manières je n'ai pas encore appris à m'en servir.

Emmanuel pianota et fit apparaître un plan 3D numérisé du capitole et ses environs. Sur la matérialisation on pouvait lire les zones déclarées comme touchées. Aucun doute, le Capitole était pris d'assaut.

Sans se concerter et dans une synchronisation parfaite, ils incantèrent. Après s'être assurés que la demeure du vieil homme était parfaitement sécurisée et que ce dernier leur ait promis de ne pas faire le téméraire, le couple se matérialisa devant la tour.

Le Capitole fumait. D'épais volutes sombres et toxiques s'échappaient des fenêtres ouvertes et par la grande porte. Dehors c'était la débandade. Les jeunes recrues hurlaient, certains étaient blessés et d'autres couraient paniqués. Sans perdre un instant, nos deux amis se mirent en action.

Emmanuel s'occuperait des blessés et mettrait les jeunes à l'abri. Lü quant à elle, chercherait à savoir plus. A première vue aucun assaillant.

Déterminée et sur ses gardes, elle entra dans la tour. La fumée âcre la prit de court et elle toussa. Ses yeux ainsi que sa gorge brûlaient et la visibilité était quasi nulle. La sirène hurlante l'empêchait de de concentrer. Elle s'adossa contre le mur du couloir et ferma les yeux. En phase avec son Agofion, elle demanda à ce dernier de lui matérialiser un masque de protection. Ceci fait et après avoir repris une bonne goulée d'air, elle se remit en marche. La fumée semblait venir de partout mais en écoutant les personnes qui couraient vers la sortie elle entendit que des explosions s'étaient fait entendre au deuxième et cinquième étage soit l'étage des admissions et l'étage de sa Division.

Elle se matérialisa au cinquième étage. Aucun doute, l'explosion avait fait des dégâts. La première Division déjà sur place faisait évacuer les lieux et mettait en place le dispositif d'urgence. La déflagration avait eu lieu du côté ouest. Dans cette direction il n'y avait seulement que des bureaux, le sien également.

La situation étant sous un contrôle apparent, Lü se mit à réfléchir.

« Pourquoi faire sauter ce côté-ci du bâtiment ? Ce n'est pas la Division la plus fréquentée, ni même celle disposant d'objets de valeur. Sans compter qu'aucun combat n'avait été engagé, l'ennemi restant invisible », pensa-t-elle contrariée.

« Réfléchis, réfléchis ! »

Son cerveau évaluait les risques qui avaient été pris et les dégâts qui avaient été fait.

Elle parvint à la conclusion que tout ceci n'était qu'une diversion.

« Oui mais une diversion pour quoi ? ».

-Laumy !

Son cri fût couvert par le masque et la sirène toujours hurlante. C'est angoissée qu'elle se matérialisa devant le Capitole et couru jusque la cabine de matérialisation.

- C'est pas possible ! jura-t-elle.

L'engin par mesure exceptionnelle d'urgence s'était éteint. Impossible de se matérialiser dans les appartements donc. L'angoisse commençait à lui faire perdre ses moyens et sa respiration se fit plus courte et saccadée. Elle sortit de la cabine et enleva son masque afin de lui permettre de se réapprovisionner en oxygène frais. La tension descendit et réalisant qu'il lui était impossible de savoir si Laumy était sain et sauf, elle frappa du poing la cabine. Le geste n'eût pour effet que de lui arracher un cri de douleur et de frustration. Mais cela lui permit également de remarquer que son Atgofion s'était mis à briller de plus belle.

Elle posa sa main dessus.

- Lü ! C'était la voix de Laumy.

- Laumy ! Tu vas bien ? Où es-tu ? cria-t-elle.

- Ivan ! Va sauver Ivan !

Le cri désespéré lui fit penser tout d'abord que Laumy avait été blessé. Mais ce dernier lui assura que non avant de la prier d'aller rejoindre Ivan dans son bureau avant qu'il ne soit exécuté. Mais c'était trop tard, le temps de retourner à l'étage, elle eût juste le temps de voir s'enfuir une silhouette à la chevelure rousse.

Sur le pas de la porte, Lü s'immobilisa interdite. À moitié caché par l'imposant bureau, le corps de son Commandant gisait. Sous ce dernier, une quantité immense de sang se répandait. Comprenant ce qu'il venait de se passer elle s'affaissa, ses genoux cognant violemment le sol. Le regard fixe, l'esprit vide, elle resta là jusqu'à ce que l'un des membres de la première Division ne la remarque. S'approchant, il prit connaissance de ce qui avait été commis puis calmement, il l'a releva et l'escorta dehors. Quelqu'un lui mit une couverture sur les épaules et elle attendit parmi une centaine d'autres Anges hagards et inquiets, sous un ciel étoilé et embrumé par la fumée encore crépitante, souvenir âpre d'une bataille à peine entamée.


BEASTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant