Un jour papa m'a dit

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- Tu sais papa, j'ai tellement de trucs à te raconter. Je ne sais pas si tu vas être fier de moi, mais moi je le suis.

Le silence lui répond. Son paternel a l'air d'attendre la suite.

- Maman te dit bonjour. Enfin, je crois. Elle ne dit plus grand chose, maman. Elle reste pendant des heures assise devant la télé, à rien faire. Parfois, elle pleure. Elle pense que je ne l'entends pas. J'aimerais, moi, ne pas l'entendre, ne pas savoir. Ne pas voir son visage rouge et gonflé quand je viens vérifier dans sa chambre qu'elle n'a pas repri trop de cachet, comme la dernière fois. Elle me fait de la peine, comme ça. On dirait un peu un enfant. J'en ai marre d'être son grand frère, j'aimerais bien redevenir son fils. Lui faire des câlins. Lui faire confiance. Ce genre de chose t'sais.

Il jette un regard à son père, avant de continuer.

- Donc, pourquoi est-ce-que je suis fier ? Parce que j'ai fait ce que je voulais. J'ai fais exactement ce dont j'avais envie. Tu vois mon argent de poche ? Celui que j'économise depuis que j'ai cinq ans ? Maintenant, j'ai douze ans, et crois moi, ça fait un sacré paquet de pièces ! J'ai compté, ça fait presque 700 euros, avec mes anniversaires, Noël et ma communion. C'est énorme ! Mais maintenant, j'ai plus rien. Tu sais pourquoi ? Parce que j'ai acheté un appareil photo. Pas n'importe lequel, pas un pour les bébés : Un vrai de vrai ! Parce que c'est ce que je voulais. Maman n'était pas d'accord, elle disait que j'étais trop petit, que j'allais le casser. Mais je fais super méga attention, je le garde toujours dans ma cachette secrète.

Le petit garçon regarde à gauche et à droite, faisant voler ses cheveux bruns mi-longs, vérifiant si quelqu'un n'est pas en train d'écouter leur conversation.

- Je fais quelque chose d'interdit ... quand maman dort, je sors. Je vais la nuit dans la ville, dans les bois. Et même la journée, quand elle s'enferme dans sa chambre, ou quand c'est sortie à l'école. Et je prends des photos. J'en ai plein. J'ai des enfants avec leur maman et leur papa, des ado, des animaux. La nuit, j'attends, je me cache et je regarde. J'ai eu une biche, un renard, plein d'oiseaux !

Il sourit, exposant son appareil dentaire qui, pendant un instant, brille au soleil.

- Et je me sens bien. Tu sais, je me rappelle de ce que tu disais quand j'étais plus petit. Tu me chuchotais, avant le bisou du soir, "Un jour tu laisseras ce monde derrière toi. Alors vis une vie dont tu te souviendras. Il y a des nuits qui ne meurent jamais. Pense à moi si tu es effrayé. ". Tu te souviens ? Hé bien, ces nuits là, je ne les oublierai pas. Elles sont là, dans ma tête, avec le chant des oiseaux, le bruit des sabots des cerfs et le ronronnement des chats sauvages. Une fois, j'ai eu peur, j'ai cru que des gens allaient me voir et me faire du mal. Mais j'ai pensé à toi, j'ai fermé les yeux, je me suis souvenu de ton parfum et j'ai imaginer ta barbe qui me chatouillait le visage. Et j'ai même pas eu peur.

Sur le ventre maigre de l'enfant, un bel appareil photo pend. Il le tripote un moment, de ses petites mains habituées à tous les recoins.

- Tu sais, il me manque une photo, papa. Une seule.

Et de ses doigts fragiles, il touche le marbre, suivant les contours des lettres gravées : " Laurent Garion " puis, il descend et caresse avec douceur le " 3 mai 1974- 15 janvier 2016 ".

- Une photo avec toi.

The songs tell storiesWhere stories live. Discover now