Le Bonnet Rouge

Depuis le début
                                    

Le père portait l'enfant qui pleurait, le plus jeune, qui avait passé les bras autour de son cou. Une petite bouille reniflante aux yeux humides et au nez rouge.   

La mère restait en arrière, surveillant calmement l'autre bambin que les cambrioleuses avaient gardé près d'elles.   

Neuf, dix ans, songea Wyndt. L'enfant resté en arrière, la tête enfouie dans un épais bonnet de laine rouge, se frottait le bout d'un nez presque rouge avec le dos de ses moufles. 

Wyndt gardait dans son axe de tir les pieds de la procession, soigneusement pointée par terre mais assez proche des criminelles pour se relever immédiatement au besoin. Luttant pour ne pas trembler, angoissé malgré les centaines d'heures d'exercice destinées à le préparer précisément à ce type de situation. Une boule étranglait son estomac sous la protection rigide du gilet pare-balle. 

Ce ne serait pas à lui d'agir, de toutes façons ; bien qu'il ait donné l'alerte, il n'était plus ici qu'en renfort d'une équipe bien plus compétente.   

Lui venait tout juste de rejoindre les A.S. ; il était techniquement au niveau délits mineurs et sauvetage de chatons. Babirye lui jeta un nouveau regard. 

Toujours ok ?   

Il lui fit signe que oui. Ou du moins que cela aurait été pire sans une mentor aussi professionnelle. Wyndt prit note de l'en remercier plus tard, pourquoi pas autour d'un verre. 

« Nous allons sortir, maintenant » exposa Marie d'une voix forte et claire un peu avant de passer l'embrasure de la porte d'entrée.

« Les parents d'abord, puis mes Agents Spéciaux. »   

Wyndt ravala sa salive et s'efforça de raffermir ses jambes fléchissantes. Babirye et lui formaient désormais l'arrière garde et occupaient donc la place la plus vulnérable dans l'unité. 

Il se força au calme. Être brave, c'est affronter sa peur. 

Plus le groupe approchait de la sortie, plus Marta Koppel semblait se tendre. Wyndt la vit jeter plusieurs regards soucieux à l'enfant qu'encadraient les cambrioleuses. L'une avait posé une main ferme sur la petite épaule pour le faire avancer, ou le retenir.   

Au moment où la lumière du jour toucha la chaussure de Tonis Koppel, le regard des parents se croisa et Wyndt y surprit l'apparition d'une décision muette, suivi du plus subtil mouvement d'acquiescement du père.   

Dans le même temps, les deux cambrioleuses se tournaient vers Wyndt et Babirye, seuls agents encore présents avec elles dans la pièce, si vite que Wyndt n'eut pas le temps de relever son arme.   

Choc violent au niveau du ventre —puis une autre explosion de douleur aiguë à la poitrine, qui lui coupa la respiration alors que plusieurs coups de feu éclataient dans les airs.   

Malgré son gilet protecteur, l'impact le projeta en arrière contre le mur —par réflexe, alors que son arme, suivant la trajectoire de sa main, se retrouvait à mi-hauteur, il appuya sur la détente.   

Juste avant que sa tête ne heurte le béton il remarqua l'explosion rouge formée par la tête de l'enfant dans les bras de son père, une gerbe de couleur dont il aurait pu décrire chaque détail —une image qui lui parut un instant immortelle et hors du temps.   

Puis il percuta le mur et s'effondra, se rendit compte que des cris résonnaient dans le bourdonnement de ses oreilles, que des coups de feu étaient encore tirés. Le souffle coupé par la douleur, il se força à se redresser sur un coude, s'exhortant sans y parvenir à se relever, l'esprit asphyxié par l'angoisse et cette image de crâne éclaté.   

Babirye gisait à terre de l'autre côté de la pièce, sur le dos, le regard fixe. Il pouvait voir la racine de ses dents sur le côté de la mâchoire.   

Tombée de côté, la criminelle qui lui avait tiré dessus ne remuait pas non plus. Celle qui avait voulu tuer Wyndt gisait à présent sur le ventre, sur le ventre parce qu'on lui avait tiré dans le dos —dans le dos parce que Babirye, alors que l'autre femme pointait son arme sur elle, avait choisi de protéger Wyndt.   

Ses jambes tremblaient.   

Il se redressa lentement, comme si le monde pesait soudain des tonnes. Il était glacé.   

Marta Koppel était morte, visiblement tuée peu après Babirye. Le père et l'autre...   

Wyndt secoua la tête pour en chasser l'image qui y restait gravée, son doigt sur la détente alors qu'il était projeté en arrière, le bruit du coup de feu, la gerbe rouge dans les airs.   

Assis entre tous ces morts, il restait l'enfant au bonnet rouge.   

Depuis un moment, quelqu'un s'agitait devant Wyndt, Marie essayait de lui parler, de le faire réagir ; il remarqua que ses lèvres bougeaient, mais lui n'entendait qu'un sifflement.   

Une explosion rouge. Une gerbe de sang.   

Il avait moins froid, on l'avait enveloppé d'une couverture. Des agents avaient délimité le périmètre et embarquaient déjà les corps.   

Il n'y avait plus personne, mais Wyndt croyait encore voir le petit enfant dans son bonnet rouge assis au milieu de la pièce, sonné, deux moufles retenues par des fils pendant sur le parquet.   

Son doigt sur la détente. La résistance du métal quand il avait tiré.   

Le bouquet de fleurs rouges s'élevant dans les airs.   

Il avait mal à la tête. Il s'était cogné. Il s'en souvenait maintenant.   

Son épaule aussi était douloureuse.   

Ses côtes, et sa poitrine.   

Sa chemise était ouverte ; quelqu'un l'avait examiné. Sa veste protectrice reposait désormais sur une chaise. Un éclat rouge dans sa mémoire.   

Des bleus jaune et mauve sur sa peau, qui déjà se violaçaient.   

L'enfant assis au milieu de la pièce.   

Wyndt ferma les yeux pour ne plus voir tout ça, le mettre de côté, penser à autre chose.   


Derrière ses yeux fermés explosaient encore et encore des bouquets de fleurs rouges.  

L'Eau viveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant