Chapitre 35

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Aminata m'a demandé de la rejoindre dans sa chambre, elle parlait avec Raïssa sur skype.

J'ai automatiquement souri en la voyant sur l'écran. Elle s'est mise à me parler comme si de rien n'était, comme si nous nous étions quittées la veille.

Raïssa : J'essaie de te joindre depuis ce matin. Depuis quand joues tu à la marmotte?

Je lui souriais bêtement, sans rien dire. Je regardais derrière elle, pour voir là où elle vivait. Elle s'est levée et a commencé à me faire visiter son appartement. J'étais à fond dedans. Elle était tellement joyeuse.

Raïssa : J'ai eu mon Bachelor Degree. J'ai commencé à faire un stage mais j'espère qu'ils vont m'embaucher après le contrat, j'adore vraiment l'entreprise et l'ambiance au travail. Ehh je vois mal, ou tes yeux sont plus gros que les miens?

Moi : Mooo, rêves toujours.

J'ai répondu sans m'en rendre compte. En entendant mamie dire Alhamdoulillah, j'ai compris que j'avais enfin ouvert ma bouche. Raïssa riait aux éclats et ne semblait pas étonnée. En fait, nous avions l'habitude de nous charrier par rapport à nos yeux. Elle aimait dire que les miens sortaient de mes orbites, alors que les siens étaient plus gros. Nous nous faisions tout le temps ces blagues. Je n'aurais jamais imaginé que c'est un truc aussi banal qui me ferait réagir à nouveau. Raïssa m'a parlé d'Aminata rapidement et j'ai appris qu'elle avait eu son Bac et poursuivait ses études en France avec Papa et Tata Cathy. Je l'avais compris quand mamie et tata parlaient mais je n'avais pas les détails. Savoir que ma soeur était plus en avance que moi m'a fait mal durant une fraction de seconde et je me suis dit que j'avais la chance d'être encore en vie. Je ne devais plus me plaindre.
J'ai continué à parler à demi-mots à Raï, mais j'étais contente de la voir. Elle m'avait manquée. Elle a dû aller à un de ses cours et a raccroché.

Aïcha ne me lâchait pas. Elle me racontait des blagues, des anecdotes que Raïssa lui avait racontées etc. Je me sentais revivre. Elle me faisait rire. J'ai aussi reçu la visite de Rose, Awa, tonton Souleymane et Lissa. Rose travaillait toujours chez mamie, Awa s'était mariée, mais est revenue après avoir eu son bébé. Elles ont toutes pleuré en me voyant. Tonton Etienne était en congés à Fadiouth, chez sa mère. Tonton Souleymane m'a présenté à sa femme, Lissa. Ils vivaient chez mamie. J'étais contente de voir que tout le monde avait réussi à avoir sa part de bonheur. Ça me redonnait du baume au coeur.

Le lendemain matin, je me rendais à l'hôpital avec Tata Malaika, Aïcha, Mamie et tata Cathy. Tata Malaika conduisait la voiture. Le rendez vous s'était bien déroulé. Le professeur était patient et compréhensif. Je ne parlais pas beaucoup, j'avais du mal à m'exprimer, à formuler des phrases correctes. Après m'avoir observée, écoutée, diagnostiquée, il a expliqué que je souffrais d'un syndrome dépressif aigu, accompagné d'anxiété. Il explique que dans mon cas, le désintérêt du monde extérieur s'associait à des troubles du caractère comme l'irritabilité, des troubles du langage, difficulté de trouver le mot juste et des erreurs dans les actes de la vie courante.

Il m'a poussée à écrire ce que j'avais sur le coeur. Je m'exécutais. J'ai parlé de mon mariage raté, de la mort de ma fille, de Raoul, de Momar, de Raïssa, de coups et blessures, des viols, de la maltraitance, des brimades, des insultes, des ultimatums, des chantages etc. Il m'a rassurée en me disant qu'il n'y avait rien de malade en moi et que c'est Raoul et ma mère qui l'étaient.

Il a balayé d'une main le diagnostic fait par les médecins français, car selon lui, ce dernier était basé sur une situation, c'est à dire l'attaque d'Annie. Donc les médicaments que je prenais allaient juste aggraver ma dépression, car ma guérison dépendait de ma propre volonté et de l'amour de mon entourage. Il m'a quand même prescrit des cachets beaucoup plus soft et qui ne me rendraient ni dépendantes, ni groggy comme un zombie. Je me sentais vraiment bien après les séances de thérapie. J'en avais duex par semaine. Je retrouvais peu à peu confiance en moi. Je me disais que ce n'était pas de ma faute, que j'étais une victime. Il restait toujours à régler le problème de mon père. Le fait que je le déteste autant l'intriguait et il a voulu en savoir plus. Je lui disais que papa n'avait rien fait pour me défendre, ni tenir tête à ma mère. Il savait très bien où j'étais pendant tout ce temps, car Raoul le lui avait dit, mais il n'a jamais cherché à savoir dans quelles conditions je vivais. J'expliquais au professeur Gueye, que ce détachement face aux malheurs auxquels je faisais face, était juste impardonnable. Il m'a rassurée encore, me disant que papa allait revenir à de meilleurs sentiments et que je devrais lui donner le temps de se ressaisir.


Mamie Anta a mis ma mère au courant de la situation, en lui précisant que c'est tata Malaika qui m'avait receuillie chez elle. Elle est passée me voir quatre fois en 3 mois, elle ne me regardait jamais dans les yeux, ni dans ceux de tata Malaika. Elle devait se sentir mal après tous les mensonges qu'elle avait racontés à mon père. Elle jouait à la mére modèle, en me donnant de l'argent et en m'appelant sans cesse, pour ne rien dire de concret. Elle devait regretter beaucoup de choses.

Tata Malaika m'avait aussi pris un rendez vous chez un dermatologue, le professeur Bassirou Ndiaye. J'avais plein de taches noires sur le visage. Je sais que c'était un peu de ma faute, car avec le stress, je n'arrêtais pas de casser les boutons. Tata Malaika lui a aussi parlé de la perte de cheveux et il m'a prescrit des médicaments en ce sens. Sans savoir de quoi il s'agissait, juste en me regardant, il a dit : " Tu souffres de stress ma fille. Tu es même proche de la dépression je dirais. Quelque que soit ce qui te tracasse à ce point, parle en et libère toi. Tu te fais du mal pour rien".

J'ai éclaté en sanglots et il s'est senti mal. Tata Malaika lui a fait un bref résumé de mon histoire. Il a formulé des prières pour moi et m'a demandé d'aller consulter certains de ses collègues, en son nom.

Après cette consultation, j'ai décidé de me raser la tête. J'avais plein de trous sur le crâne, il valait mieux tout raser et laisser les cheveux repousser, à l'aide des traitements. Pendant presque 4 mois, je faisais un défilé incessant entre les docteurs, médecins, thérapeutes etc. J'allais beaucoup mieux. Il m'arrivait de penser à Raoul et de me demander ce qu'il devenait. Mamie lui avait interdit de me contacter et avait promis de lui faire signe pour que l'on puisse finaliser notre divorce. J'avais envie d'en finir avec lui.

Aïcha et tata Cathy étaient rentrées. Tata Malaika et tonton Hussein avaient déjà décidé de rentrer définitivement au Sénégal. Tata Malaika ne voulait pas me laisser seule, mais elle devait aller régler des affaires et s'occuper des bagages qu'elle devait faire envoyer par bateau. Elle me disait que ça allait lui prendre une semaine et qu'elle serait de retour 15 jours plus tard, avec son mari. Je restais donc seule avec Mamie Anta. Je ne voulais pas repartir dans mon ancien quartier, de peur de rencontrer Xavier, Ousmane, ou encore pire, Momar. J'avais tellement honte et je me sentais sale.

Tata Malaika avait tenu parole. Elle était bien revenue avec tonton Hussein. C'est la première fois que je le voyais. J'ai automatiquement compris de qui Raïssa tenait ses traits, elle était la copie de son père. Il était tout aussi gentil que sa femme. Il m'a traitée comme sa fille. Je guérissais petit à petit, mais je me sentais bizarre. Je ne peux pas expliquer cette sensation, mais c'est comme un mal être permanent. J'avais des pensées très confuses et troublantes. J'en ai parlé à ma mamie et tata Malaika, elles m'ont trouvé un autre rendez vous avec les docteurs.

Un beau jour, Rose a appelé mamie, pour lui dire que Tata Aida était à la maison et voulait lui parler en urgence. Mamie lui a demandé de prendre un taxi et de l'amener. Elle s'est exécutée. Tata Aida se présentait donc à la maison, avec Rose. Elle a salué tout le monde et s'est dirigée vers moi. Je ne l'avais pas revue depuis le mariage de Tata Soda, c'est à dire depuis 1999 et on était en 2008. Le temps passait trop vite. L'émotion était très forte. Elle m'a serrée dans ses bras et nous avons longuement pleuré.

Tata Aida: Maguy namone nala. Damala diambat ba sonou. Sa mame nima danga am dieukeurou toubab. Bumako telone yeuk, li yeup du ekssi fi. Khamnga ni sama niakeu nekkeu si keur ga, mo waral li yeup daal la. (Tu m'as manquée Maguy. C'est ta mamie qui m'a appris que tu étais mariée à un blanc. Si je l'avais su à temps, tu ne l'aurais jamais épousé. )

Elle s'est interrompue pour pleurer.

Mamie Anta : Bul wakh lolou Aïda. Maguette ak Nafi mome danio beuri pekher. Danio khar ba affaire yi soti, niu wakh niuko. C'était trop tard. Djiby aussi n'a rien fait pour empêcher mariage bi. Nena yoname nekoussi. (Ne dis pas ca Aida. Maguette et Nafi sont trop dangereuses. Elles nous ont averties quand tout a été décidé. Djiby a dit que ce n'était pas son probléme. )

Tata Aïda : Lolou moma fi indi. Kiné moma setsi sama keur yaye. Nima na nieuw lumu geuneu gawer Dakar pour wakhléne wakhtane bimou betteu entre yayam ak Nafi. Nena raggal yayam motakh meunul wone nieuw. Teh kom deukeutumafa, mere bi du yeuk li khew. (C'est ce qui m'amene. Kiné est passée me voir, et m'a demandé de vous voir en urgence. Elle a surpris une conversation entre sa mére et Nafi. La peur de représailles l'a poussée à m'envoyer à sa place. Etant donné que je n'habite plus chez eux, Ta Maguette ignorera ma démarche. )

Tata Malaika : Euy Aïda Wakhma lo lane la!! Mangui beugeu deh ak coumpa. (Aida dis moi de quoi il s'agit. Je n'en peux plus.)

Tata Aïda : Kiné néna si limou djota comprendre, mère bi dafa liguey maguy pour mu seuy ak toubab bi, pour khaliss bi bagne ko reuthieu. Ligueye bi nak, si boppu kathieu laniou ko deff, pour Maguy di toppu wadji kom kathie, lumu ko wakh, muni waaw. (D'après ce qu'elle a compris, Ta Maguette a marabouté Maguy pour qu'elle épouse le blanc, afin de ne pas perdre l'argent qu'il leur avait promis. Ils ont mis le sacrifice dans la tête d'un chien, afin que Maguy suive le blanc comme une chienne.)

Chronique de Maguy : le bout du tunnelWhere stories live. Discover now