Chapitre 9

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Mon père a baissé la tête.

Papa: Je ne veux pas jouer à ça en ce moment. Il s'agit de mon enfant. Je te respecte beaucoup et pour éviter des histoires, je vais lui parler après le mariage. Mais je ne veux pas qu'elle dorme ici. Je ne sais pas de quoi je serais capable.

Mamie : Tu ne dois pas parler comme ça. Maguy est entre de bonnes mains maintenant. Maguette ira dormir chez Nafi. Elle me l'a déjà dit.

Papa : Je n'arrive pas à croire que tu m'as caché ce genre de choses.

Mamie : Je ne voulais pas te perturber mon fils.

Papa : C'est bon. On en reparlera. Viens ici ma chérie. Je suis désolé pour tout. Je vais prendre soin de toi, elle ne te touchera plus.

Pourquoi je n'arrivais pas à parler? Pourquoi les mots n'arrivaient-ils pas à franchir mes lèvres? Pourquoi suis je aussi faible?

J'avais envie de lui parler des mes cauchemars.

Je voulais lui crier ma peine, mes angoisses, mon désarroi, le sentiment d'abandon que j'ai ressenti.

Je voulais lui expliquer pourquoi je me lavais tout le temps, et pourtant j'avais la sensation d'être encore sale.

Je voulais lui parler des mains de Moustapha, touchant le corps de sa princesse.

Je voulais lui montrer les flashbacks que j'avais chaque fois que j'étais perdue dans mes pensées.

Je voulais l'informer de mes troubles du sommeil, mes réveils en sursaut.

Je voulais lui dévoiler cette terreur persistante qui m'affaiblissait.

Je voulais lui raconter mon viol.

Oh, que c'était difficile. J'avais du mal à réfléchir, et mettre de l'ordre dans mes idées. Et j'avais trop honte, il allait peut-être me détester si je l'informe. Et je n'ai rien pu dire, ni faire. J'ai juste pleuré, pleuré, encore et encore.

Pleuré pour cette innocence perdue, pleuré pour ce petit cœur meurtri, pleuré pour les pensées noires qui me traversaient l'esprit. J'avais des envies de meurtres. Aucun enfant de cet âge ne devrait penser à des choses aussi morbides. J'étais capable de tuer mamie Maguette, tata Kiné et Moustapha, sans aucun regret.

Tata Soda est revenue dans la chambre pour voir si tout allait bien. Mamie en a profité pour s'occuper des invités. Elle a demandé à Aminata et Raïssa de me tenir compagnie.
Je n'étais pas d'humeur joyeuse, j'avais trop de choses dans la tête.
Tata Cathy nous a retrouvées et s'est mise à nous raconter des anecdotes sur sa famille. Ça a détendu l'ambiance. Elle est si gentille et douce. J'aurais voulu l'avoir comme mère. La mienne ne s'intéresse pas vraiment à nous. C'est son mari qui passe avant tout maintenant.  Elle se pointera peut-être au mariage.

Ce dernier était imminent, il ne restait plus que deux jours. Mamie Maguette partie, nous ressortions de la chambre de Ma Anta, pour discuter avec les invités. La maison s'était encore remplie. Il y'avait beaucoup de personnes que je n'avais jamais rencontrées.
Depuis le viol, je souffrais d'agoraphobie. J'avais beaucoup de mal à garder mon calme devant du monde. Je paniquais et avais juste envie de me cacher. C'était quasi impossible dans la maison, ce jour là. Toutes les pièces étaient pleines. J'ai dû me résigner et me coller à Raïssa, je ne la lâchais pas. Cette situation l'amusait beaucoup, et j'aurais pu partager sa joie si je n'étais pas aussi crispée.

Elle m'a finalement entrainée dans la rue. Personne n'a fait attention à nous. Mamie détestait que l'on se s'assoie devant la maison, mais avec elle avait d'autres chats à fouetter. Nous avons acheté des graines d'arachide pour mieux savourer ce moment. Ce soir là, nous avons toutes dormi avec Mamie. Le lendemain, tout le monde s'affairait. Raïssa et moi faisions des va et vient, de la boutique à la maison. Rose et les tatas préparaient les différents jus, les beignets etc. Certaines de nos grands mères triaient des tissus, bijoux et ustensiles à remettre à la famille d'Ibrahima le lendemain.
Des amies, ex-voisines, ex-collègues, et connaissances de mamie Anta avaient apporté leur participation dans la soirée. Les caisses de boissons, sacs d'oignons, bols de beignets, bloquaient le passage du salon. Mamie avait reçu beaucoup d'enveloppes aussi. Elle semblait satisfaite. Je ne voyais plus Tata Soda. Les mamies l'avaient prise à part pour lui parler.

Le lendemain, vers 7 h du matin, j'entendais les femmes s'affairer dans la cour. A cause de mes insomnies, je captais tous les petits bruits. J'ai réveillé Raïssa. Mamie n'était plus dans la chambre. Nous avons pris notre douche. Mamie nous a chargées de nous occuper des encensoirs (andeu).
Tonton Etienne (le chauffeur) a ramené nos habits de chez le tailleur. Nous étions très coquettes avec nos ndokettes. Les invitées ont commencé à venir petit a petit. Je ne voyais plus tata Soda, on m'a fait savoir qu'elle était au salon, pour s'habiller, se coiffer bref se faire belle. Raïssa était toute excitée. Elle m'a entrainée dans la cour et la rue. Une grande bâche avait été montée et la musique était assourdissante.
Les femmes faisaient la cuisine dans la maison d'un voisin. Par simple curiosité nous y sommes allées. Les femmes épluchaient légumes, oignons, ail etc. D'autres allumaient les morceaux de bois, afin de commencer à cuisiner. De grands bols remplis de viande jonchaient le sol. J'étais fascinée. C'est la première fois que j'assistais à ce genre d'événements.
A un moment, tonton Souleymane nous a demandé de répondre à Mamie. Elle voulait s'assurer que nous étions en sécurité car la maison était remplie. Elle a tenu à ce qu'on reste à ses cotés. C'était une femme formidable. On sentait toute la fierté qu'elle ressentait à nous présenter à ses amies et aux invités. Aminata était avec maman et mamie Maguette. L'ambiance était bonne, la fête battait son plein.
Tata Soda est arrivée à son tour, accompagnée d'applaudissements et de battements de tambour et de Tama. Les griottes chantaient ses louanges et ceux de ma mamie. Tata Soda pleurait à chaudes larmes. Sa mère l'a prise dans ses bras et a prié pour elle. J'étais émue sans vraiment comprendre pourquoi.
Elle a pris des photos avec les invités, les grands-mères, ses amies etc. Elle était tellement belle. Je lui ai fait la bise quand elle s'est approchée de nous.
Tata Soda : Heyyy mes chéries. Vous êtes toutes jolies.
Moi : Regardes toi, tu es plus belle comme ça. Ça change de tes jeans et shorts.
Tata Soda : Eh parles doucement. Les gens peuvent t'entendre.
J'ai éclaté de rires. Raïssa était aussi fascinée que moi. Elle lui a fait la bise à son tour. Le déjeuner (Thiebou yapp) a été servi quelques minutes après. C'était juste trop bon. J'ai mangé avec Raissa, Aminata, Tata Aida (invitée par ma mamie Anta) et deux autres femmes. A un moment, les hommes se sont éclipsés pour aller à la mosquée pour prier et s'occuper de la cérémonie religieuse. Des sachets de beignets et de gingembre ont été servis à cet effet.
Le mariage a enfin été scellé. Les hommes sont revenus avec de la cola et des sachets de jus. Les femmes étaient dans la cour pour la remise de térangas, après avoir mangé le  ndiogonal ou reer devrait-je dire (diner). Nous avons rejoint Tata Soda au salon, pour nous faire coiffer et habiller. La salle louée pour la réception était pleine, j'hésitais à sortir de la voiture. Aminata et une autre cousine tenaient la robe de Tata Soda. Tonton Ibrahima était tout beau dans son costume, ils formaient vraiemnt un beau couple. La réception était simple, rien de bien différent de celles auxquelles vous avez eu à assister. Les mariés ont ouvert le bal, puis reçu les cadeaux et félicitations des invités. La nourriture a été servi et le gâteau découpé. J'étais vraiment crevée à un moment, je n'en pouvais plus de la musique, du brouhaha, des rires etc. J'ai demandé à rentrer et Tata Soda a chargé un de ses amis de nous ramener Raïssa et moi. Des femmes en ont profité pour se faire déposer. La fête était réussie.
Les invités rentraient petit à petit. Ça m'a fait du bien de revoir Tata Aida. J'ai par la suite appris que Mamie Maguette avait demandé à son fils de la répudier, parce qu'elle avait osé dénoncer Moustapha. Ce dernier avait refusé. Elle les avait renvoyés de chez elle. Tata Aida était donc retournée chez ses parents avec son mari et ses enfants.
Ça m'a attristé. Elle a défié ma grand-mère pour me protéger. Elle a été là pour moi quand toute ma famille m'avait tourné le dos.
Je n'ai pas revue Tata Soda pendant presque deux semaines. On nous expliquait qu'elle vivait désormais chez Tonton Ibrahima et avait besoin de repos. Ah les femmes et leurs cachotteries. Après le mariage de tata Soda, tout était revenu à la normale. Mamie nous avait trouvé un maitre coranique à domicile, il venait tous les mercredis, samedis et dimanches après midi. On inventait toutes sortes de choses pour ne pas suivre ses cours.
Un jour, après qu'il soit parti, je me levais pour ranger mon cahier et le coran que je tenais.
Raïssa : Je vais te dire quelque chose mais il ne faut pas que tu paniques.
Moi : Ah bon, c'est quoi ?
Raïssa : Pourquoi tu es aussi agressive?
Moi : Parles Raï ou laisse moi tranquille. J'ai faim.
Raïssa : Ok, tu sais qu'en un moment de ta vie, ton corps va changer, évoluer et se préparer à certaines éventualités.
Moi : Pourquoi tu parles comme mamie? Je ne suis pas une gamine.
Raïssa : Ton corps est en train de changer et de ce fait tu verras un écoulement sanguin tous les mois, à une certaine période pendant 5 à 7 jours.
Moi : Mais c'est dégoutant. Beurrrkkk. Saigner pendant des jours? Et pourquoi?
Raïssa : Allons dans la chambre vite.
Une fois dans la chambre, elle s'est mise à fouiller dans ses bagages. Elle a sorti un paquet tout rose et m'a dit : Tu vois ceci, ce sont des serviettes hygiéniques, elles vont te permettre de vivre normalement durant tes règles. Tu les mets juste sur ton slip. Laisse-moi te montrer.
Elle me faisait rire, quel sang ? Ne devrais-je pas lui dire que tout mon sang s'est versé à cause de mon-demi-frère? Elle a pris une de mes petites culottes et ma serviette et m'a demandée de la suivre. Une fois dans la salle de main de mamie, elle m'a demandé de me laver car je saignais. Oh mon Dieu... Je saignais, c'était dégoutant, du sang sortait de mon vagin. Je suis mise à pleurer, Raïssa m'a aidée à mettre la serviette hygiénique. J'étais mal à l'aise car j'avais l'impression d'avoir mis une couche. Je lui ai demandé comment elle savait tout ca. Elle m'a répondu que sa mère lui en avait parlé bien avant qu'elle ne voie les siennes. Ma mère ne s'intéressait même pas à moi, elle ne me parle de rien. J'ai voulu avertir Mamie. Nous l'avons trouvée en train de lire le coran. Elle le faisait après toutes les prières surtout après de Maghreb.
Moi : Mamie, j'ai vu mes règles. Raïssa m'a aidée à me nettoyer.
Mamie : Heyy mes chéries. Vous grandissez tellement vite. Tu viens de les voir ?
Moi : Oui mamie. Mais Raïssa a nettoyé la chaise sur laquelle j'étais assise et tout. Elle m'a expliqué comment me protéger.
Mamie : Tu sais que tu les verras tous les mois?
Moi : Oui Mamie.  Je le sais.
Mamie : J'aurais dû avoir cette discussion avec vous depuis longtemps, le temps passe tellement vite. Tu auras bientôt 13 ans Maguy et toi Raïssa bientôt 14. Vous n'êtes plus des enfants. Votre corps est un jardin secret, aucun homme ne doit vous approcher. Ce sont tous des menteurs. Vous êtes de belles jeunes filles, mais tellement naïves, le monde est plein de gens mal intentionnés et je ne serais pas toujours là pour vous protéger. L'apparition des règles signifie que vous pouvez dés à présent tomber enceintes. Dés aujourd'hui, si un homme vous touche, vous allez tomber enceinte. Ne les laissez même pas vous toucher la main, ils peuvent vous engrosser comme ça.

Chronique de Maguy : le bout du tunnelWhere stories live. Discover now