Chapitre 1 : If it makes you happy

Depuis le début
                                    

— Ce n'est pas une tenue pour une personne de ton âge et de ta classe sociale, tenta-t-il d'ajouter.

— Et ce n'est pas maman, lâcha sa fille en désignant d'un vague geste de la tête la jeune femme au chemisier mauve qui était prostrée de stupéfaction depuis le début de leur conversation.

C'est pour dire qu'à cet instant précis, elle hésitait entre sortir en pleurant ou sauter par la fenêtre. Et, face au regard perçant de la jeune Ellie Lefevre, la dernière solution semblait la meilleure alternative.

— Ça ne te regarde pas, rétorqua son père froidement.

— Je pourrais dire la même chose en ce qui concerne ma tenue.

— Tu me déçois... Murmura Daniel en baissant les yeux d'un air dépité.

— Au moins, je t'inspire un sentiment, lâcha la jeune fille avant de s'éclipser dans sa chambre

Alors, c'était cela ? Lui faire honte pour qu'elle le remarque ? Songea son père, altéré. Non, sa fille était encore plus tordue. Elle voulait l'atteindre, mais d'une manière encore plus subtile, encore plus diabolique. Ellie le haïssait, il en était persuadé. Daniel Lefevre se retourna ensuite d'une lenteur exagérée vers sa jeune secrétaire et il lui murmura doucement :

— Tu peux partir, Nathalie.

— Je suis désolée pour ta fille, s'empourpra celle-ci en ramassant ses chaussures sur le sol.

— Ce n'est rien, la coupa-t-il, Ellie n'est pas perturbée par ce genre de choses, crois-moi, elle a déjà vu bien pire.

Nathalie sortit de l'appartement en faisant semblant de ne pas être choquée par ce père qui paraissait se foutre totalement de la vie sexuelle tordue de sa propre fille. A en juger par la sienne, il n'y avait rien d'étonnant. Daniel salua sa jeune amante d'un signe de la main puis referma la porte de leur vaste appartement. D'un coup d'œil rapide vers l'horloge du salon, il tomba sur le portrait de famille qui trônait dans l'entrée. Il s'y approcha pour l'observer de plus près, comme s'il cherchait réellement à se rappeler des visages de sa propre famille. Car il y avait bien longtemps que son mariage avec Helen Merill, une ancienne mannequin New-Yorkaise, avait battu de l'aile. Ils s'étaient séparés d'un commun accord, mais étaient restés mariés pour le bien-être de leur fille unique... Bien que pour être totalement honnête, Daniel l'avait fait pour la gloire de s'afficher avec une célébrité américaine et sa femme pour gagner la moitié de son salaire. C'était d'une indécence remarquable, mais c'était leur famille, ils s'y étaient habitués. Il s'agissait simplement d'un mensonge qui les réunissait tous les trois sous le même toit, mais qui ne les reliait pas tant que ça.

Ellie entra dans sa chambre et referma la porte derrière elle tout en jetant son sac sur le lit. Elle se dirigea vers sa coiffeuse et s'empara d'un coton qu'elle imbiba de démaquillant pour s'enlever la couche de peinture qu'elle se mettait sur le visage. Comme si elle avait réellement quelque chose à cacher, son meilleur ami ne cessait de lui répéter qu'elle était magnifique au naturel. Mais le naturel ne faisait pas partie de son vocabulaire. Elle, elle aimait ce qui était faux, caché, masqué, déguisé, elle n'aimait pas ce qui était vrai, pure, innocent. Elle appuya sur son visage rageusement avec son coton, comme si elle voulait supprimer tout ce qu'elle avait pu faire cette nuit là et, surtout, avec qui. En bas, elle entendit son père éteindre les lumières et refermer la porte de sa chambre. Comme souvent, sa mère n'était pas rentrée. D'ailleurs, il était plutôt exceptionnel que Ellie dorme chez ses parents. Elle avait pris pour habitude d'aller dormir dans l'appartement de sa grand-mère, la seule personne de sa famille qu'elle arrivait encore à respecter. Ou, alors, les soirs où son taux d'alcoolémie était trop élevé pour risquer de rejoindre l'appartement de Betty Lefevre, elle allait chez son meilleur ami. D'ailleurs, elle s'empara de son téléphone portable pour lui envoyer un message et lui indiquer qu'elle était bien rentrée. Elle esquissa un sourire lorsqu'elle reçut un semblant de réponse. Vraisemblablement, il avait dû mal à taper sur les touches de son téléphone. Le garçon devait être tout aussi défoncé qu'elle, c'était un accro de la fumette. Néanmoins, elle réussit à comprendre un vague «Bonne Nuit» et referma son portable qu'elle lança sur le lit. Ellie se retourna ensuite vers son immense miroir et s'arrêta perplexe. Le reflet lui renvoyait l'image d'une petite fille d'une dizaine d'années, avec des joues roses de poupées et de grandes boucles noires qui pendaient tout autour de son visage angélique. C'était elle, elle il y a bien longtemps. Un «désolée» à peine perceptible sorti de ses fines lèvres, si bien qu'elle se demanda si c'était réellement elle qui s'excusait à l'enfant ou l'inverse. Brusquement, elle ferma ses paupières et secoua sa tête pour revenir à la réalité. Cette fois, le miroir lui refléta son vrai visage, tiré par la fatigue et l'alcool. Les mêmes boucles sombres encadraient son visage blanc, même si elles lui tombaient désormais sous les seins. Ses grands yeux étaient d'un bleu si perçant qu'on n'avait rarement l'occasion de se perdre dans un si beau regard. Pourtant, elle ne se sentait pas jolie et ne faisait rien pour l'être. Ses longs cheveux bruns sentant le tabac froid semblaient près à tomber sur le sol de sa salle de bain et son magnifique regard disparaissait sous des cils épaissis par le mascara et l'eye-liner qui coulait sous ses yeux... Ellie Lefevre était magnifique, mais, dans le fond, elle inspirait trop de peine pour qu'on puisse apprécier sa beauté à sa juste valeur.

NantisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant