Pétage de plombs

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Trêve de plaisanteries, j'ai un dîner équilibré à préparer, un homme à m'occuper et des gosses à aller récupérer dans quelques heures. Je noue mon tablier. Je sors les légumes, le poulet, le miel et les oignons. Julien me rejoint, attiré par les odeurs de cuisine.

— Que prépares-tu ?

— Un poulet doré au miel accompagné de pommes de terre et d'une purée d'oignons.

— Crois-tu que les garçons vont accepter d'en manger ? J'ai un doute.

— Ils vont goûter et je suis sûre qu'ils vont kiffer ce plat.

— Ils vont kif quoi ?

— Kiffer. Julien, je vais te donner des cours. Tu as dix wagons de retard. Kiffer, c'est comme adorer.

— Ah. Besoin d'aide ?

— C'est bon. Je termine. Essaie de mettre le couvert.

— D'accord.

— Dis, ne te vexe pas, mais c'est toi qui sens la transpiration ?

Il lève le bras gauche, approche son nez. Un peu gêné, il s'éloigne de moi.

— Je n'ai pas pu me doucher avec mon poignet. Il faudrait que l'on m'aide. Dit-il.

— Si tu me l'avais demandé, je l'aurai fait.

— Cela ne te dérange pas ?

— De quoi ? de te voir à poil ? non. Par contre, les émanations de hareng saur, sans moi.

— Cela veut dire oui ?

— Rester à la maison ne te réussi pas. Ton cerveau pédale grave.

— Hein ?

— Laisse tomber. Monte faire couler la douche, j'arrive.

Qui sait qui va voir le zigouigoui de Juju ? C'est moi ! Si Zora savait ça, elle serait verte de jalousie. J'enfourne le plat et je grimpe rapidement à l'étage. J'ouvre la porte, sans frapper. Julien s'est enveloppé d'une serviette. Je le mate genre « vas-tu la dégager ta serviette ». Il entre dans la douche. Je fais couler l'eau et arrose son corps de haut en bas, de droite à gauche.  Le moment que j'adore, le savonnage. Je commence par le bas. Les pieds, puis je remonte jusqu'aux fesses.

— Là, je peux. Dit-il.

Je masse les épaules, le dos, et je redescends jusqu'à son ventre. Je m'attarde à cet endroit en faisant des cercles avec la paume de ma main. J'ai envie, très envie de descendre, de poursuivre mes caresses. Mes doigts effleurent son bas-ventre. Ils progressent lentement vers son sexe. Un clac me stoppe brutalement. C'est la main de Julien qui est venue se scotcher sur la mienne. Est-ce une invitation ? Je tente de bouger mes doigts afin de poursuivre cette excitante exploration.

Impossible. Je suis bloquée. La main qui retient la mienne, me donne la pomme de douche. Foutu ! Cassée Éléna ! C'est la deuxième fois qui me laisse en plant. Je le rince et lui tend son peignoir.

— Voilà, il est tout propre et en plus il sent la rose. Besoin de moi pour te rhabiller ?

— Je vais essayer tout seul. Merci.

Punaise, déjà onze heures trente. Je saute dans ma voiture récupérer les gamins. Ils sont à la barrière et me font de grands signes de la main en me voyant arriver.

— Maman j'ai super faim, crie Victor. Qu'est-ce qu'on mange ?

— Du poulet avec des patates.

— Des patates frites ? demande-t-il.

— Non, des pommes de terre à l'eau.

— J'aime pas les patates à l'eau.

— Pour grandir, il faut manger des légumes mon chéri.

— Et des fruits, souligne Louis.

— J'aime pas les fruits.

Victor boude. Louis le taquine. Heureusement que l'école est à dix minutes de la maison car je n'aurai pas supporté plus longtemps leurs hurlements. Ils se bousculent pour être le premier à la porte. Obligée de me mettre en colère et de leur ordonner de se calmer. Ils prennent place à table sans un mot. Julien nous rejoint, ravi de voir ses fils, il leur dit gaiement.

— Un bisou à papounet les garçons ?

Les loulous baissent la tête.

— Que s'est-il passé à l'école ? Un problème avec vos camarades ?

Aucune réponse. Louis donne un coup de pied sous la table à son frère. Victor regarde son père et lui demande s'il peut prendre du ketchup. Bien entendu, papa dit oui. Il s'empresse d'aller chercher la sauce et embrasse son père au passage. J'hallucine. Un bisou contre du ketchup. C'est du grand n'importe quoi ! Je fais les gros yeux à Victor, me transformant en Grinch. Il recouvre totalement les patates de sauce. La moutarde me monte au nez.

J'attrape violemment son assiette, ouvre la fenêtre et la balance dehors. Un bruit de carreau cassé résonne. Je me penche par ladite fenêtre. Oh putain ! Quelle conne ! J'ai éclaté le pare-brise arrière de la voiture de Julien ! Il se lève d'un bond et découvre la catastrophe. Blanc, rouge, puis bleu, il passe par toutes les couleurs avant de vociférer contre moi. Je suis contrainte de lui obstruer la bouche avec le torchon pour ne pas que les enfants n'entendent les mots vulgaires qu'il envoie.

Louis et Victor sont pouffés de rire. Moi pas. Je m'excuse à trois reprises, mais il ne veut rien savoir. Éléna, tu as ce que tu mérites. Tu n'as qu'à te contrôler au lieu de péter les plombs. Regarde tes gosses. Ils se gavent de patates au ketchup sous ton nez pendant que ton ex te passe un savon digne de ce nom ! Je promets à Julien de réparer ma bêtise au plus vite. Il m'injurie et sous la colère, attrape le plat en fonte du poulet, fonce sur le parking et le jette sur ma voiture.

Oh quel con ! Le genre de plan qu'il ne faut pas me faire, c'est celui-là. Il me provoque. Il est devenu fou. Il sait jusqu'où je suis capable d'aller une fois le match lancé. Le capot de mon véhicule est cabossé. Le poulet, enfin ce qui en reste, gît sur les graviers. Les gosses sont sur le perron, la fourchette à la main. De quoi avons-nous l'air ? Je n'en sais rien et je m'en tape le coquillard. Je suis en mode vénère.

Je ramasse les restes du déjeuner sur le parking. Je me dirige vers sa voiture. Je plonge ma main dans la graisse du plat et badigeonne son pare-brise. Me voici soulagée. Julien reste coi. Je passe devant lui, tel un guerrier fier de ses actes. Les enfants sont reclus devant la télévision. Treize heures. Allez la marmaille, retour à l'école. Je les invite à me suivre. Ils sont aussi muets qu'en arrivant. Ceci dit, après ce qu'ils ont vu, une mère complètement déjantée, je ne leur en veux pas.

— Bisous mes chéris. Bon après-midi.

— Bisous maman, répondent-ils

Demain je reprends mon travail. L'organisation va être plus rude. Moi qui déjeune au bureau d'ordinaire, je vais devoir courir entre l'école et chez Julien. Sauf si je les inscris à la cantine. Je vais en faire part à leur père, à mon retour.


Eléna MarWhere stories live. Discover now