Chapitre premier : Répétition

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Des rues enneigées.

Des rues enneigées, se prolongent jusqu'à l'infini devant mes yeux ébahis. Le nez collé contre la vitre de ma limousine, je fixe, les lèvres entrouvertes et les joues rougies, rougies par une excitation et une joie enfantine de voir tant de neige tomber du ciel blanc. Les bâtiments, les quelques maisons mélangées aux immeubles qui s'élèvent jusqu'aux nuages, sont tous ensevelis, recouverts et noyés par du blanc, un blanc glacé et immobile, leurs vitres éteintes leur donnent une allure de géants endormis. Sommeillant, seule la vapeur que rejette le souffle régulier de ces géants témoignent de la présence de quelques humains à l'intérieur, hésitant encore à sortir, bien trop effrayés, bien trop frigorifiés pour oser mettre le pied dehors.

Tout n'est que calme et sérénité.

Les rues sont désertes, abandonnées au froid et à l'hiver, même si de temps en temps, par une chance illusoire, on aperçoit les manteaux rouges, jaunes, verts ou bleus des étudiants aux doigts frigorifiés, s'acharnant à lancer des boules de neiges à leurs camarades, progressant lentement, bras tendus de chaque côtés de leurs corps paniqués à l'idée de s'étaler sur le sol gelé, manquant de glisser à chaque pas mais souriants, souriants de toutes leurs dents et riants, plaisantant avec leurs amis, amis qu'ils poussaient et dont ils se moquaient sans le moindre ménagement.

- Lucy, assieds-toi convenablement.

Je jette un coup d'œil à la personne assise sur la banquette en face de moi, et vois ma mère, vois ses cheveux parfaitement attachés en un chignon serré, strict, d'une couleur jaune paille de coloration dans un effort vain pour tenter de cacher la couleur grise terne, vois ses yeux baissés sur son téléphone, ses doigts qui bougent à une vitesse terrifiante, ses doigts qui tapotent le clavier du petit téléphone d'une façon mécanique, habituelle. Concentrée, buvant son café encore bouillant, c'est à peine si elle lève son regard, c'est à peine si elle m'accorde une seconde de son temps si précieux, préférant m'ignorer et se plonger dans son travail. Encore et toujours son travail. Et pourtant, elle vient de me parler. De lancer un ordre froid et direct à sa fille dont elle ne s'occupe plus depuis si longtemps.

Sa voix basse et froide vient de me jeter à la figure des mots, vient de me dicter un mode de conduite que jamais, jamais je ne pourrais ignorer, à qui je ne pourrais jamais échapper. Elle vient de me prendre, de m'arracher cet instant de liberté qu'à ressentit mon cœur, m'arrachant ma joie, m'arrachant mon admiration et toutes mes interrogations, toute cette surprise que cette neige tombée en début de Novembre suscite en moi.

Ma mère vient de me saisir les bras, les mains, les pieds et les chevilles pour les attacher, les fixer avec des liens solides et indestructibles, des chaines froides qui me blessent et me font souffrir mentalement, des liens intemporels.

C'est à peine si elle m'accorde un regard.

Je déglutis, mords ma langue, m'arrache presque l'intérieur des joues et me rassois, redresse mon dos, lève le menton, essaye de prendre un air haut et fier que je méprise mais qui colle à ma peau. Serrant les doigts, serrant les poings, maudissant cette ambiance, maudissant ce silence absurde et étouffant qui s'est installé entre elle et moi depuis huit ans déjà.

La limousine continue d'avancer, inlassable, insatiable, indifférente à mon mal être.

Elle continue d'avancer et de m'emmener de force, malgré mon envie de sauter et de m'enfuir à toute jambe, continue de m'emmener vers les grilles de ma nouvelle école, serpentant entre les rues et si glissant parmi toute une file de voitures, continuant de progresser à cette même allure rapide, s'empressant, s'empressant de me déposer devant ce nouveau lycée qui saura me prendre en charge pendant un mois.

La voix du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant