CHAPITRE 8 : LA FORCE DU PEUT-ÊTRE

5 0 0
                                    

C'était il y a dix ans

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

C'était il y a dix ans.

Je n'avais encore rien vu du monde, je ne savais pas à l'époque. Je vivais de certitudes avec ma jeunesse comme seule force et mon instinct comme seul arrogance. J'étais certain de mes choix même si je sais aujourd'hui que le doute trop souvent habite la moindre de nos actions. Les routes tremblent de hasard et on y trouve forcément le destin au détour d'un parcours sinueux, surtout si l'on cherche à l'éviter. J'observais un océan beaucoup plus colérique que celui-ci et les sentiments qui m'habitaient alors étaient bien plus à vif même si ils me sont toujours aussi douloureux aujourd'hui.

Je n'ai pas compris cet éclat vif dans ton regard, cette lumière indomptable, cette foi qui te portait en avant et qui ne voulait pas dire son nom. Je ne l'ai pas compris parce que c'était là une de nos belles différences, ma sœur.

Nous sommes jumeaux pourtant mais nous avons toujours pris des chemins différents dans nos choix et nos paroles, nous avons toujours cherché à nous dissocier l'un de l'autre, peut-être tout simplement parce que nous nous aimions bien trop. Il reste tellement de non-dits entre entre nous, c'est aussi vaste que cette eau qui toujours cherche à nous séparer.

C'était il y a dix ans mais mon cœur est resté là-bas avec toi. Il y sera toujours, ma sœur.

le bateau fend l'onde et les flots fouettent avec insistance notre barque, je ne peux m'empêcher de regarder Sky, perchée à l'avant et le regard tourné vers cette horizon d'océan, son sourire déchire les cieux, visage transfiguré par une jeunesse qui n'a pu éclore comme elle l'aurait méritée et qui depuis, lutte pour s'imposer dans un monde où il ne reste si peu de place à la vie. Sa jeunesse est pourtant rebelle et prometteuse comme les champs de blé tremblant sous la moisson, et déjà si vieille à mes yeux. Ses cheveux courts s'ondulent très légèrement sous les embruns, c'est ce genre de détails que je remarque, un petit rien de « charmant » qui sait accrocher le cœur comme tu le disais si bien en me réprimandant gentiment mes errances d'adolescent.

Et dans le fin fond de son regard, je vois cette flamme, cette lueur qui t'habitait et que, je suppose, t'habite toujours.

C'était toi, la Voyageuse ma sœur, c'était toi l'aventurière et même si nous n'étions que les deux faces d'un même médaille, jumeaux veut aussi dire différence. Toi la mutante, moi l'Humain. Toi la rêveuse, moi le pragmatique. Toi qui espérait, moi qui subissait. Et ton regard comme celui de Sky restait figé sur l'horizon, sur le « peut-être », sur le pourquoi pas ? J'étais trop impétueux et plein de moi-même à l'époque pour le comprendre, encore moins mature pour l'accepter. Tu avais déjà tout compris, moi j'étais à la traine comme toujours.

C'était il y a dix ans, ma douce et pourtant si volcanique Aby, et je regrette chaque mot de colère que l'on s'est dit ce soir-là, lorsque tu m'as dit vouloir répondre à l'appel et parcourir le continent dévasté à la recherche de réponses, à la recherche de choses qui n'éveillaient rien en moi, qui ne signifiaient rien, moi qui ne voulait que rester ton ombre et vivre au rythme de ta vie. C'est trop tard pour te dire combien je t'ai cherché des années plus tard, combien j'ai espéré voir ta chevelure de flamme flotter au vent ou se découper dans l'encadrement d'une porte de ces maudits souterrains. C'est trop tard pour courir après ce qu'on a laissé s'échapper car on n'a pas trouvé les mots, parce qu'on n'a pas compris que ce fourmillement qui poussait au voyage était dans nos gènes, tout simplement et qu'importe notre genre, humain ou mutant.

Je regarde Sky et j'en ai mal jusqu'à l'âme.

Nos vies sont faites de mensonges, elle cherche et sûrement elle trouvera.

Elle me croit investi d'une mission altruiste mais jamais l'altruisme n'a fait avancer le monde en vérité. La première caractéristique de l'espèce humaine, ça reste l'individualisme et l'égoïsme. Je suis ici dans les pas de ma jumelle, je la cherche depuis près de 8 ans parce que la vérité est que nous ne pouvons pas vivre l'un sans l'autre, du moins moi je ne le peux pas et mon orgueil me pousse à me dire que cette douloureuse partie de mon âme dévastée ne pourra se compléter et se guérir que lorsque nous serons à nouveau réunis. Sky j'aimerai te dire que je m'en cogne du monde et de son humanité maudite, je m'en contre fiche que tout cela ne soit qu'un épilogue, je n'étais pas là pour voir la fin, pour donner un avis ou tenter d'agir sur les choses. Peu m'importe le demain et la couleur qu'il prendra, je n'ai jamais été un idéaliste à la recherche de réponses comme peut l'être Aby. Le monde même dévasté et moribond peut me suffire si elle l'habite. Mais j'ai laissé mourir bien des choses pour aller compromettre celle-là aussi. Ton sort m'importe, jeune fille. Ton sort m'importe parce qu'il me rappelle ce que j'aurai pu être et surtout ce que j'aurai du faire. Je ne veux pas voir s'éteindre cette flamme dans ton regard car elle prélude à l'espoir.

Chacun doit apprendre à se battre pour quelque chose qui a du sens, quelque chose de personnel. C'est ainsi et surtout cela ne se partage pas, du moins pas comme on peut l'entendre. Une vision reste personnelle avec ses propres représentations, on peut y adhérer ou la combattre mais on la nuance toujours à l'aide de son moi profond. Une vision habite mais ne fait pas dans la colocation. Elle est entière et intransigeante parce que sinon, elle ne se réalise simplement pas, c'est la stricte réalité.

Ma sœur est parti un matin à la recherche d'immunes pour fonder une colonie, elle m'a dit devoir pousser vers l'ouest en laissant tout derrière. Bien plus tard, lorsque l'absence est devenue un poison c'est ce que j'ai fait aussi, aidé de nos reliques familiales.

Elle n'avait pas le médaillon, oui mais elle connaissait tous les textes de grand-mère par cœur grâce à son don. Aby n'oublie pas, non. Aby ne peut pas oublier.

Peut-être même a-t-elle porté ce même regard vers les flots que celui de la jeune sky.

Peut-être a-t-elle trouvé ses réponses.

Peut-être même est-elle heureuse sans moi à deux pas du cœur. Elle me le dira et s'il y a un chemin dormant sous les ruines de l'Institut Hopes, elle aura su le trouver.

Sky se met à rire comme une fillette, éclaboussée et surprise par l'eau projeté par les brisures des flots sur la barque alors qu'en bon forçat je rame en direction de l'île. Nous irions plus vite à deux mais je dois lui laisser ce moment d'insouciance, ce n'est plus de la survie, c'est autre chose et de cet autre chose toujours il naît un mieux. C'est ce que tu disais, c'est ce que je n'écoutais pas, tu sais combien les frères peuvent s'entêter aussi.

A mon tour je porte le regard vers l'horizon de mer au-delà de la Baie de San Francisco en une question évidente.

As-tu vu la même chose Aby ?

C'était il y a dix ans.

Je n'ai pas su trouvé les mots du cœur ce jour-là car je n'étais pas prêt. Depuis, ma vie s'est figée en une absence de sa moitié d'âme. Mais le voyage m'a repris depuis. Les fourmillements me poussent en avant et je te trouverai.

J'ai enfin compris la force d'un « peut-être »

Car c'est toujours mieux qu'un jamais.

VoyageuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant