CHAPITRE 1 : LES MURMURES DU VENT

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Le vent dans les herbes, le bruissement d'une longue caresse, un long murmure lancinant qui ne s'adresse plus à personne. Je crois qu'un orage gronde au loin. J'ai hâte de le voir, je n'en ai jamais vu.

Je pourrais rester ainsi à regarder cette plaine pendant des heures et tirer les leçons qui s'imposent de nos solitudes.

Nous ne sommes rien.

Nous nous sommes crus grands l'espace d'un songe mais le réveil fut brutal.

Il n'y a personne d'autre que Riddle et moi pour regarder ce spectacle, il ne semble pas s'en émouvoir, il a une mission et j'ai la mienne, le protéger lui et son savoir.

C'est une grande aventure, la plus grande de notre époque.

Puisque cette époque ne veut plus rien dire.

Nous ne sommes pas très bavards.

Qu'est-ce que nous pourrions bien nous raconter c'est un humain , je suis mutante, il est vieillissant, je suis jeune.

Je crois que tout est dit.

Je suis née dans l'après.

Je n'ai connu ce monde que dans les souvenirs et les récits des anciens, un monde baigné dans la lumière du soleil, un monde grandiose qui débordait de vie et de facilité.

On ne se rendait plus compte de ce qu'on avait, maintenant qu'on a tout perdu, on sait.

C'était un monde de légende, de querelles et de rêves.

C'est ce que nos anciens disent, mais ils peuvent mentir, un ami m'a dit que le passé était ce qu'on en faisait.

J'ai du mal à croire que tout était si simple, que tout était à portée de main. J'ai toujours connu les ténèbres des refuges souterrains, le manque, la débrouillardise, le système D. Pas d'électricité, pas de numérique, de la survie, des menaces et au dehors un monde définitivement empoisonné.

J'étais spéciale, je le savais. Il en reste si peu d'entre nous.

Ils ont su avant que je ne le sache, bien avant que je comprenne que la télékinésie n'était pas mon seul atout, j'étais une des « immunes ». C'est une caste précieuse pour notre tribu, une poignée de survivants évoluant à plus de 3 km sous terre. Je peux, moi, retourner au monde, retourner à la lumière.

Je crois que ça faisait longtemps qu'ils attendaient, qu'ils espéraient.

Je n'ai jamais cru en autre chose que la damnation, nous avions tout, nous l'avons détruit et tout cela me semble logique, nous sommes voués à disparaître, souvenir d'un monde fané, d'un monde détruit.

Je rêve de l'océan souvent, je l'ai vu sur une photo, sur des cartes du monde à l'époque où ça voulait dire quelque chose. Je rêve d'être là, de regarder toute cette eau et de me dire que ça signifie encore quelque chose, qu'il y a une voie pour moi, autre chose que de regarder la vie s'écouler et les êtres mourir.

La première fois qu'ils m'ont envoyée au dehors, j'étais partagée entre la peur et l'excitation. Je me souviens avoir eu mal à cause de la lumière. Je me souviens avoir été complètement écrasée par cet espace, un espace sans murs, sans cloisons et l'air...et le vent...je n'ai pas remarqué tout de suite les ruines, les débris de ce qui fut une cité nommée Los Angeles, non j'ai vu....l'infini.

J'ai pleuré.

J'en pleure encore la nuit.

Alors que nous traversons le champ et que le vent souffle je me pose toujours la même question.

Etait-ce notre destinée de devenir des errants ?

Etait-ce notre destinée d'être étranger en notre propre monde ?

Nous savons comment nous en sommes arrivés là.

Nous ne savons pas comment nous n'avons pas pu l'éviter.

Nous ne savons plus comment l'arrêter.

Ce monde a vécu comme nous, comme une tumeur sur un organisme mourant, comme la pourriture sur un repas oublié. Il ne reste qu'un miroir déformant de nos propres folies, de nos propres chimères. Il ne reste que nos fantasmes qui continuent toujours de saigner.

La « guerre » a tout modifié, a mis un point final à nos ambitions démesurées. C'était il y a plus de 150 ans, nous n'en sommes plus que des échos perdus, luttant contre la poussière de l'oubli qui s'en vient poser le marbre définitif sur nos folies.

Les mutations naissaient à peine, un « nouvel homme » disait-on. Un homme dangereux qu'il a fallu broyer, éliminer...Ca parait impensable de réaliser qu'à cette époque, eux même n'avaient pas considérer qu'armer les « humains » contre les « mutants », c'était mettre un terme à l'espèce humaine tout entière.

Et nous voilà, le reliquat de cette tuerie pour pleurer les erreurs criminelles de nos ainés. Le bactériologique, le nucléaire, l'Intelligence artificielle qui aurait pu savoir...qui aurait pu arrêter cet enchainement qui nous a vu bannis de la surface et relégués aux ténèbres. Certains ont essayé...Ils sont tous morts. Ils sont des légendes que personne n'écoute.

Et me voilà, errant dans leur monde désolé et troublant leur repos éternel.

Riddle en sait plus que moi de toute évidence.

Nous nous dirigeons à la marche vers la mythique San Francisco, la ville des mutants comme on la nommait à la fin de la Guerre...du moins ça l'était avant. Mais toutes les légendes ne résistent pas au temps. C'est peut être ça que murmure le vent dans les herbes.

Notre voyage débute ici, au moment où je noircis ces lignes, le feu me réchauffant le corps. J'ignore combien de temps il va durer, j'ignore ce que nous allons trouver mais je sais pourquoi nous y allons. Parce que sous la poussière d'un monde tombé, peut-être qu'un autre est prêt à éclore, parce que l'espoir est une plante qu'on cultive avec une passion déraisonnable.

Mes parents m'ont appelé Sky

Parce qu'ils avaient l'espoir qu'un jour j'arrive à atteindre le ciel, à présent que je le vois si bleu au-dessus de moi, je réalise que tout ce que nous avions toujours voulu était là, à portée de bras. Nous avons été nos propres bourreaux et j'ose croire que dans ce ciel si vide, peut-être qu'il subsiste une force qui comme nous souhaite que notre histoire ne s'arrête pas là.

C'est ce que veut Riddle, je crois...

Moi, je suis et j'ai toujours été une simple voyageuse.

VoyageuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant