"La famille du marié lynche le DJ" par Antony

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Je n'aurais jamais dû accepter.

Mais Elise a insisté et j'ai lâchement préféré acheter la paix des ménages alors même que nous n'en formions pas un. De ménage.

Du moins, pas encore. Ce samedi 17 juillet devait être le jour inaugural d'une nouvelle qualification de notre couple aux yeux du curé et du maire, des parents et des amis. Mariés. Sous vos applaudissements et vos grains de riz, remise du livret de famille, sermon du père Jacquet dans la coquette église du village, histoire de patienter dans le frais et l'ennui jusqu'à l'heure du cocktail... Pour le meilleur et pour le pire, et jusqu'à ce que la mort nous sépare. J'ai eu peu de meilleur et beaucoup de pire ; et ce n'est pas la mort qui nous a séparés.

C'est cet enculé de Pierre-Yves.

Un an à tout préparer : les dégustations de champagne, de petits fours, de plats en sauce, de pièces montées... pour ne choisir que le meilleur à nos yeux et à ceux de nos parents, amis financiers de cette cérémonie autocentrée. J'en ai frisé l'indigestion, au propre et au figuré. Tous les week-ends ou presque à ne penser qu'à des détails festifs dont tout le monde négligera la minutie au bout de trois coupes, à supporter les débats interminables de nos parents sur la finesse discutable du suprême de volaille ou l'excès de cuisson des magrets de canard, sur la couleur des fleurs ornant les tables, sur le style de la robe d'Elise ou le dilemme fondamental « Nœud pap' ou cravate ? »... Heureusement qu'Elise et moi nous aimions ; ce genre d'épreuves est finalement presque plus ravageur pour la cohésion d'un couple que la perspective de mêler des sous-vêtements sales dans un panier à linge.

J'avais rapidement abandonné le combat et laissé à Elise et nos parents le soin de procéder à tous ces arbitrages qui m'avaient épuisé. Bœuf ou volaille, Opéra ou choux à la crème, je m'en cognais. Pour moi, l'essentiel était de réunir nos amis, de s'amuser et danser jusqu'à l'aube, de partager le bonheur que nous avions à être ensemble, Elise et moi, entourés par cette belle bande de fêtards bienveillants. J'ai gardé mes forces pour constituer la liste des invités, organiser un plan de table qui ménageait toutes les affinités et susceptibilités, n'oublier personne et exclure les cas problématiques... Je n'ai commis qu'une erreur.

C'est cet enculé de Pierre-Yves.

« Elise, c'est pas possible ! C'est ton ex ! Pas question que Pierre-Yves foute les pieds à notre mariage !
- Arrête, Thomas, c'est ridicule ! Lui et moi, c'est rien ! Mort et enterré ! On a passé 6 mois ensemble il y a 7 ans, c'est pas comme si on s'était déjà mariés !
- Justement, je ne te comprends pas ! Tu l'as largué en mode brutal, il s'est farci une dépression sévère à chialer sous ton balcon pendant 3 semaines, et là, tu veux lui proposer de faire le DJ, comme si de rien n'était ?
- Il s'en est remis ! Il est maqué avec Cécile depuis 4 ans... Tout ça est oublié. Et puis, tu m'expliques comment on va faire si c'est pas lui ? On a vu que des groupes de baloche pourris qui te sortent « La Danse des Canards » au bout d'une demi-heure ! Et quand tu leur réclames du rock, ils te proposent Michel Sardou ! Sérieux, Thomas... Et tous les DJ du coin sont des nazes !
- Sauf Pierre-Yves, c'est ça que tu veux me dire ?
- Bah oui, y'a pas photo ! Tu sais comme moi que Pierre-Yves est le meilleur DJ qu'on puisse trouver... »

Techniquement, je ne pouvais pas lui donner tort : il était excellent dans ce registre. Ça me donnait des aigreurs d'estomac de le reconnaître mais depuis le lycée, Pierre-Yves (déjà un enculé) était la seule star des soirées qui n'avait pas besoin de danser. Arborant son sempiternel sourire de faux-cul qui sait parfaitement qu'une mine réjouie dissuade le sceptique de poser les questions qui fâchent, convaincu également – à juste titre – que les filles préfèreront toujours apercevoir un bout de gencives saines à des lèvres hermétiquement fermées, Pierre-Yves avait adopté le big smile permanent comme stratégie de conquête. Bingo ! Ses platines attiraient la gente féminine, aussi sûrement qu'un quaterback américain prognathe émoustillaient les pom-pom girls des comédies adolescentes. Le sourire trop large pour être honnête, Pierre-Yves était un VRP de la drague, le genre de type qui laisse venir le chaland en adoptant la morgue de celui qui sait que sa camelote suffit à susciter l'intérêt. Les filles du lycée tombaient dans le panneau, venaient fureter autour de ses platines pour s'enquérir de sa programmation à venir ou réclamer un morceau dédicacé. Lui, l'air de rien, sans se départir de sa banane buccale, adoptait un détachement qui affolait les jupes. Et il tenait ses promesses... La piste de danse était remplie, les jambes se trémoussaient, le crescendo musical savamment orchestré et l'excitation des filles suffisamment bien maîtrisée pour s'assurer de la réussite de son plan initial : en fourrer une dans son lit.

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