"La vente de chaussettes plombe la rentrée de l'IUT de Valenciennes" par Laura

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4 SEPTEMBRE 2020 – 13h23.

Michel Sabot arriva, sourcils froncés, mâchoires serrées, menton crispé, au volant de sa BMW. Il effectua une inutile mais élégante manœuvre dans le parking désert de l'IUT. Rangé parfaitement sur l'emplacement "réservé au directeur", il serra avec détermination son frein à main, saisit sa mallette de travail et bondit prestement hors de l'engin.

Il déverrouilla la grille principale de l'établissement, prit soin de laisser ouvert derrière lui, et traversa la première cour. Il lui sembla entendre le brouhaha habituel en toile de fond. Mais la cour était déserte.

Il rejoignit le sombre escalier du bâtiment C au fond de la cour et grimpa un étage. Son bureau l'attendait impatiemment derrière la deuxième porte à droite. La serrure, d'abord chatouilleuse, couina poliment, dansa deux tours puis libéra la porte qui se mit à pivoter joyeusement. La pré-rentrée avait lieu plus tôt que prévu cette année.

Il avait été appelé en urgence afin de participer à une réunion de crise, programmée ce jour, à 14 heures.

Au téléphone, le fonctionnaire lui avait résumé la situation. Seuls treize étudiants avaient émis le souhait de s'inscrire à l'IUT de Valenciennes cette année. Cinq en Banque Assurance ; deux en Cyber défense ; six en Développement durable, parcours Gestion Industrielle de l'Énergie. C'était tout. Aucun dans les quinze autres licences professionnelles proposées par son établissement en droit, économie, gestion, science et technologie.

Il est vrai que tous les établissements français avaient été confrontés à une nette baisse d'inscriptions cette année. En cause : le fléchissement des naissances, amorcé après l'an 2000. Les perspectives sombres, entre attaques terroristes, réchauffement climatique, et pauvreté galopante, avaient découragé de nombreux couples de se reproduire – quand de nombreux "jeunes adultes" au chômage avaient plus drastiquement été contraints de retourner vivre chez leurs parents et repousser loin tout projet amoureux ou procréatif.

Certes. La démographie. Mais nulle part ailleurs les chiffres n'étaient si alarmants. Y avait-il eu un bug informatique ? Ou un problème avec la procédure APB ? Il fallait examiner toutes les hypothèses possibles. La réunion devait pour cela réunir les pointures administratives de la région, quelques têtes en vues au ministère, et un représentant de la voix des lycéens, représentant qu'on avait eu toutes les peines du monde à extirper de son canapé.

Le coup de téléphone du fonctionnaire avait pris Michel Sabot par surprise, au sommet de sa carrière. Depuis 15 ans, il dirigeait d'une main ferme mais juste l'établissement qui comptait un millier d'étudiants. Il avait pris les rênes de l'IUT de Valenciennes à la rentrée 2002. Lentement, patiemment, avec détermination, il avait déjoué tous les pronostics. Il avait combattu les préjugés tenaces dont l'IUT était victime à l'époque. Lorsque la mode des technologies de l'information s'était évanouie, il avait été le premier en France à proposer une licence professionnelle en développement durable – et le succès avait dépassé ses attentes.

À 56 ans, Michel était un directeur talentueux, et fier. Il aimait qualifier son style de management de « main de fer dans un gant de velours ». C'était sa ligne de conduite, sa patte.

Mais cette année, dans moins d'un mois, la rentrée aura lieu. Avec treize étudiants.

13h57.

Le parking se remplit progressivement de voitures métallisées. Enfin, salle 101, la réunion débuta. Après les échanges de mondanités météorologiques de rigueur, le secrétaire aux établissements professionnels prit la parole. Éloquent, il déclama avec solennité ce que tout le monde savait déjà. Pendant vingt longues minutes, chacun se relaya pour déplorer la situation : l'ascenseur social en panne, l'influence des réseaux sociaux... Et peu de doute restait permis : seuls treize étudiants s'étaient inscrits, aucun bug ou problème technique n'avait été détecté. Michel Sabot s'enfonçait progressivement, lourdement, dans son fauteuil. Ça n'était tout simplement pas possible, c'était un cauchemar !

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