- Kenan, tu ne devrais pas...

L'énerver.

Le mot était resté en suspens. Il avait un temps de retard. Mes yeux s'étaient plantés dans ceux de Kenan, plus durement qu'auparavant et j'avais eu le temps de percevoir le visage crispé de Maël. Si son frère n'eut pas le temps de réagir, lui, conscient de l'erreur du démon, battit brusquement des ailes pour s'écarter. Il avait pleinement perçu le léger changement dans mes iris. Ils avaient dû pâlir, sans aucun doute possible.

Une fraction de seconde plus tard, Kenan réagit enfin et déploya ses propres ailes bien trop tard quand une trombe d'eau s'abattit lourdement sur lui. Une quantité d'eau faramineuse s'écrasa sur ses épaules, inondant le parquet sous ses pieds. Il gronda aussitôt, sourdement, s'avachissant sous le poids et le choc. Mais il n'avait pas de quoi se plaindre, il avait eu de la chance. Car, après tout, je n'avais absolument rien contrôlé. Ainsi, à la place de l'eau, j'aurai très bien pu le recouvrir de bestiole visqueuse, de rocher ou même faire cramer quelques unes de ses jolies plumes noires.

Je me pinçai les lèvres, un fou rire voulant les franchir avec force. Je n'étais absolument pas effarée par ce que je venais de faire. Il l'avait pleinement mérité. Et la non gravité de mon action rassurait mon esprit qui s'était tourmenté dès l'instant où j'avais senti que je perdais le contrôle. Mais à cet instant précis il avait juste l'air terriblement idiot. Son T-shirt lui collait à la peau tandis que ses cheveux trempés se plaquaient à son visage de façon plutôt disgracieuse. Un peu à la façon de Simba dans le roi lion. Et pour compléter le tableau, ses yeux furieux braqués sur moi n'avaient rien de crédible. Je ne parvins plus à le retenir. J'éclatai de rire.

J'avais conscience que ce rire était aussi nerveux. J'étais trop tendu depuis des heures et cette scène plus que ridicule soulageait une pression trop lourde. Maël pouffa à son tour, me rejoignant dans mon euphorie alors que Kenan, lui, ne riait pas du tout. La colère montait alors que je l'avais pleinement ridiculisé, ne lui laissant aucunement l'occasion de réagir. Lui. Le brillant guerrier vanté par Epona, c'était fait rincer. Sans jeu de mot.

Il jura tout bas mais ne quitta pas la chambre pour autant, un « ploc » régulier percevable entre deux fou rire. Dans un dernier regard furieux, il fonça dans ma salle de bain et revint avec une serviette sur les épaules et une autre dans sa main alors qu'il frottait vigoureusement ses cheveux humides. Le rire s'étouffa dans ma gorge, net. Pour se sécher, il avait prit la peine de retirer son T-shirt. Et comment dire. Sur une échelle de un à dix, le un étant le nutella et le dix la plaquette de chocolat – bien que je n'aimais ni l'un ni l'autre, il restait plus plausible que la guimauve – il se trouvait à dix. Non. Quinze. Et, pour une fois, l'idée de manger du chocolat ne me coupait pas l'appétit du tout.

- Ferme la bouche, sourit-il aussitôt, très satisfait de parvenir à faire rougir mes joues. Tu peux me manger quand tu veux.

- Je suis tout aussi bien foutu, rétorqua Maël vivement. Je vais te montr...

- Arrête ! Intimai-je en rougissant alors qu'il esquissait déjà le mouvement de retirer son vêtement. Ne le retire pas ! Et, toi, enfile quelque chose !

- Mon haut est trempé, se justifia-t-il désinvolte.

- Dans mon placard, soupirai-je. J'ai quelques T-shirt d'homme que j'utilise comme pyjama. Prends-en un.

- Je suis bien comme ça.

- Kenan, insistai-je.

Il leva les yeux au ciel mais finit par consentir à fouiller mon placard pour en sortir un haut blanc qu'il enfila, couvrant ainsi l'objet de toute mon attention. Je soupirai. Mes hormones d'adolescente me travaillaient beaucoup trop à mon goût. Je n'osai même plus relever les yeux, trop gênée à l'idée d'affronter ceux devenus rieurs de Kenan. Le pire ? C'était le sentiment d'être pleinement tombé dans son piège. Je savais qu'il l'avait fait délibérément afin de me clouer le bec. Et il était agaçant d'admettre que cela avait fonctionné à la perfection.

Water LilyWhere stories live. Discover now