V | Sombre folie

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Une vague de frissons parcourt ma peau gelée. Mon cœur palpite, gronde, cahote dans ma cage thoracique. Je plisse les yeux, me pince les lèvres mais rien n'y fait. Il est bien là. Sa présence silencieuse envoie des ondes de choc dans tout mon corps. Mes poings se ferment aussitôt et je serre les dents, sur la défensive. J'analyse la situation avant de réagir : nous sommes seuls dans un couloir, aucun secours à proximité. Si je m'enfuis à toute vitesse, il m'aura rattrapée en moins de temps qu'il ne m'en aura fallu pour respirer. Mais en restant, je prends le risque d'une nouvelle agression et peut-être même d'y laisser ma peau cette fois. Le constat est vite fait : je suis foutue.

Une fois retournée sur lui, je lève péniblement les yeux vers son visage. Il me dépasse d'une bonne tête. J'arrive à peine à hauteur de ses épaules carrées. Les mains dans les poches, il me sourit avec cet air arrogant du premier jour, cette malice insidieuse dans le regard. Mais pas de trace d'une arme cette fois. Un simple pantalon clair en lin et une chemise blanche recouvrent son corps. Aucune séquelle de son isolement. Rien ne semble affecter cette allure nonchalante ! Comme s'il n'avait même pas souffert, comme s'il ne s'était rien absolument passé sur ce parking.

Le face-à-face me paralyse. Sa proximité ravive les sensations que j'essaie d'effacer depuis deux semaines, brouille tous mes radars. Il faut que je me ressaisisse ! C'est moi l'infirmière, lui le patient. J'ai remporté la première victoire, aucune raison d'échouer cette fois encore.

— Cessez de m'appeler ainsi, Julian, je lance d'une voix forte et sereine en apparence.

Il sourit, penche légèrement la tête de côté. Ses pupilles gourmandes balaient mon visage, comme s'il en mémorisait chaque recoin.

— Alors donnez-moi votre prénom.

Son timbre est posé. Ses mains dorment tranquillement dans ses poches et j'ai envie de lui hurler de foutre le camp, seulement je ne dois pas lui dévoiler mes failles. Je ne sais pas comment il s'est procuré ce couteau la dernière fois mais j'ai l'intime conviction qu'il n'est pas armé aujourd'hui. Si cet hôpital fait bien son job, je n'ai rien à craindre.

— Mon nom ne vous sera d'aucune utilité, je ne suis pas votre infirmière et je ne gère pas votre section.

— C'est de l'information générale ma jolie, j'ai besoin de connaitre les gens à qui je confie ma santé mentale, persiste-t-il en avançant d'un pas.

Instinctivement, je recule d'autant. La chair de poule s'étend jusqu'à la marque laissée par la lame dans mon cou. Elle me picote, comme une piqûre de rappel.

— Mais puisque je vous dis que je ne m'occupe pas de votre cas, vous n'avez toujours pas compris ?

— Raison de plus pour me le donner ! Cessez de lutter inutilement, ce n'est qu'un prénom ma jolie.

Je suis au pied du mur. Jouer les têtes de mule ne fera qu'attiser sa colère et je n'ai aucune envie de me retrouver au cœur d'une nouvelle polémique !

— Alicia, Alicia Bollet. Voilà. Êtes-vous satisfait ?

Il rit doucement puis secoue la tête.

— Pas encore mais ça ne saurait venir ! Je suis enchanté de faire votre connaissance, Allie.

Mon ventre se serre au surnom qui franchit ses lèvres.

Les images dansent sous mes paupières, s'accrochent à mon crâne comme une plaie mal cicatrisée. Mes joues chauffent et mon estomac vrille. Je pose une main sur mon ventre pour apaiser le souffle rapide qui s'échappe de mes lèvres. Cette douleur sommeille depuis trop longtemps. Trop longtemps que ces émotions n'avaient pas dévasté mon corps et mon esprit comme deux vulgaires buissons sur le chemin du rouleau compresseur de la vie.

À la folie {chez Plumes du web}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant