I | Grain de folie

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   J'ai toujours eu peur du noir. C'est ma phobie, mon fardeau, mes huit cents dollars claqués en thérapie. Le genre de phobie qui vous réveille en pleine nuit, la gorge sèche, le cœur au fond du pyjama. Le genre qui vous pousse à marcher en crabe sous l'éclairage des lampadaires alors que vous rentrez seule de soirée. Le genre qui vous paralyse comme un enfant de cinq ans devant l'entrée de votre appartement un soir de pluie, quand votre interrupteur refuse de faire son job et que votre subconscient se persuade qu'il y a un monstre caché quelque part dans la pièce.

Parce que oui, il y a un monstre, c'est une évidence. Aussi évident qu'il n'y avait pas, au moment où j'ai claqué la porte de mon nid douillet ce matin, de rideaux fermés dans mon salon ou de coupure de courant spécifique au premier étage ! D'ailleurs, si j'en crois la lumière qui filtre sous la porte de mon cher voisin de palier, je suis la seule concernée par cette obscurité soudaine.

Bon d'accord, si je ferme les yeux, serre les poings et compte jusqu'à trois, tout ira bien. Une fois mon stress sous contrôle, je peux toujours tenter une embardée vers les bougies qui ornent mon buffet ancien. Sans me casser la binette de préférence. Mais si l'angoisse monte en puissance, c'est le malaise vagal assuré ! Et mon corps sera retrouvé au beau milieu du salon, pétrifié de peur, recouvert de poussière, dévoré par les insectes rampants.
Oui, rien que ça !
 
Ma thérapie me revient en pleine figure et la voix doucereuse de ma psy bourdonne dans mes oreilles. "Le tout est de ne pas résister Alicia, pas de panique inutile. Laissez la vague vous envahir jusqu'à ce que la marée ne la reprenne." Conseil de psy, conseil débile.

Les mains moites, je tâtonne le long du mur comme un aveugle suit le fil conducteur de son appartement. Mon souffle erratique succède au silence glaçant de la pièce. L'extrémité de mes doigts picote, les tendons se figent, les muscles se crispent. Une bouffée de chaleur étreint la peau laiteuse de mon cou. Je ne serais pas surprise d'y trouver des plaques à mon réveil demain matin.

Mon cœur n'est plus qu'un tambour assourdissant dont le rythme anarchique défonce ma poitrine. Je ne vais pas tarder à le faire, ce fichu malaise, si je ne trouve pas vite une source de lumière ! D'autant qu'il me vient une solution pour extraire toute cette panique de mon corps et je ne suis pas certaine qu'elle arrangera la situation. Bien au contraire. Mais ma tête est trop faible pour gagner le combat, alors je cède aux démons de l'angoisse et m'apprête à pousser un cri strident. Tant pis pour l'immeuble, tant pis pour l'ego.

Qu'est-ce que j'attends d'ailleurs ?       
Un. Deux. Trois.

— Suuurpriiiise !

Wow !

J'ouvre péniblement une paupière, éblouie par la soudaine luminosité qui éclaire mon salon. Ma famille, mes amis, mon copain... tout ce joyeux petit monde me sourit bêtement comme si je ne venais pas de frôler l'infarctus.

— Joyeux anniversaire Al !

Joy me fonce droit dessus mais je ne bouge toujours pas d'un poil, engourdie par la crise qui vient d'être évitée de justesse.

— Viens par là, on a une tonne de babioles pour toi ! frétille ma petite sœur de dix-sept ans.

Dans un coin de l'entrée, je remarque la main de l'un des convives appuyée sur le compteur électrique de mon armoire. Je le fusille du regard tandis que l'on me traîne de force au milieu du salon, face à la montagne de cadeaux qui jonche ma table basse. Mes fonctions vitales reprennent doucement. L'émotion inonde mon petit cœur mais je ne parviens toujours pas à renvoyer autre chose qu'un sourire crispé.
Fichue angoisse !

Tous mes proches sont réunis autour de moi, la veille de mon premier jour de travail, et je ne pouvais espérer plus beau cadeau. Malheureusement, chasser une phobie revient à se débattre dans les sables mouvants : plus vous luttez, plus les profondeurs vous enlisent.

À la folie {chez Plumes du web}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant