IV |Délirium

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L'insoutenable douleur propulse le sang dans mes veines. Mon corps s'enflamme, ma peau me brûle, je perds quasiment connaissance. Dans mes dernières forces, mes paupières se soulèvent et libèrent mes iris.

J'observe attentivement l'homme qui me domine. Il flotte au-dessus de moi, un sourire aux lèvres, le diable dans les yeux. Je ne sens plus mes membres, l'engourdissement vole mes dernières ressources. Je voudrais crier, hurler pour me libérer de l'étau qui m'enserre, mais rien ne vient. J'ai perdu ma voix. Il glisse une main sous ma nuque, me redresse légèrement jusqu'à ce que je frôle sa mâchoire rugueuse. Puis, comblant l'espace entre nous, il dépose un baiser sur mes lèvres. La brûlure se répand immédiatement sous ma peau jusqu'aux battements intempestifs de mon cœur affolé. Je me consume de l'intérieur.

Sa main libre remonte les courbes de mon corps, s'arrête au sillon entre mes seins. Il déplie lentement chaque doigt, écarte une à une ses phalanges avant d'appuyer fermement sur ma poitrine. Je suffoque, la pression est insoutenable. Il faut que je remonte à la surface, que je dégage mon corps de son étreinte mortelle mais mes bras se débattent dans le vide, mes ongles griffent le néant. Rien ne l'atteint et le désespoir a raison de mes forces. Les battements de mon cœur s'affaiblissent.

C'est fini.
Plus rien ne me vient à l'esprit que cette vie qui s'éteint là, en pleine conscience.

Sa main quitte ma poitrine et flotte dans les airs comme une menace imminente. Sorti de nulle part, un couteau y prend forme, pointant fermement mon cœur. L'oxygène me quitte, le voile de souffrance qui m'oppressait s'envole pour d'autres cieux. Je n'ai plus peur, je n'ai plus le choix. Il m'a eue.

— À bientôt, ma jolie, chante-t-il contre mes lèvres.

Et la lame plonge.

Je me réveille en sursaut. Assise sur le lit, à bout de souffle, ma tête dodeline toute seule et mon cœur bat dans mes tempes. Je viens de livrer toutes mes forces dans un combat imaginaire ! Ma nuisette est trempée, ma gorge est sèche et je tremble de tout mon long. Mais je suis vivante.

— Eh doucement ma puce, respire ! Tout va bien.

Et je ne suis pas seule.

— Le... l'interrupteur, je bégaie en tâtonnant l'obscurité.

— Oh merde j'ai oublié, pardon. Attends une seconde !

J'entends Tom se pencher sur la table de nuit et, l'instant d'après, la lumière se diffuse faiblement dans la pièce. Un halo se forme au plafond, projetant ma crinière ébouriffée comme une ombre chinoise. Je dois probablement avoir l'air d'une sorcière !

— Cauchemar ? demande-t-il en caressant ma tempe.

J'opine, bredouille quelques excuses et vacille jusqu'à la salle de bains. Là, tout de suite, j'ai besoin d'être seule.  
C'est la troisième fois cette semaine que ce cauchemar revient hanter mes nuits. La troisième fois que je me réveille en sueur, le visage de Julian dansant sous mes paupières comme une obsession malsaine. Comment confier aux psychiatres de l'hôpital que je vis un stress post-traumatique ? Que moi, personnel formé et paré à toute éventualité, je reste traumatisée par la crise du premier désaxé sur ma route ?

Non, je refuse de l'admettre, je refuse de lui accorder ce plaisir. Les choses finiront bien par se tasser. Il le faut.

L'eau chaude apaise mes angoisses. Je frotte ma peau avec vigueur pour chasser les souvenirs et cette sensation d'impuissance entre ses mains. J'efface l'entaille laissée par la lame dans mon cou. Je savonne les zones où son souffle m'a parcourue, l'empreinte invisible de ses doigts sur ma peau, nettoyant chacune des traces de ce cauchemar à l'eau bouillante.

À la folie {chez Plumes du web}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant