Chapitre 6 : Vous attendrez...

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Je ne pensais pas vous retrouver vivant. Vous devriez être parti, enfoui en vous même, désagrégé.

Mais vous êtes resté là, à ma place, et vous m'écoutez encore sagement. Vous comprenez encore, et plus que jamais, le langage de ma voix intérieure. Celle qui ne se tait jamais.

Comme à moi elle vous parle dans le silence.

Elle vous parle en silence dans mon âme.

C'est le seul endroit que je connaisse à l'abri des détecteurs de mouvement, des caméras et des robots matons. Je m'y réfugie, à nouveau étendu sur mon lit, en transe éveillée, à regarder le plafond parfaitement lisse, désespérément parfait et... lisse.

Aucune fissure, ni aspérité, pour guider et rythmer ma progression.

Pourtant mon corps et mon esprit se divisent déjà par leur essence et leur perception, même s'ils ne sont, fondamentalement, qu'un. Un. Une unité bicéphale, antinomique. Ce moi que vous connaissez à présent un peu de l'intérieur. Ce moi qui est dans sa globalité un seul et même individu, alliant la pesanteur et la puanteur matérielle, à l'abstraction pure et parfaite.

Je hais ce déchet biologique qui va mourir. Il me rattache à vous autres. Je préfère l'autre côté de mon être. Celui qui est tout puissant sur la lourdeur de la réalité. Celui qui n'est pas comme vous et que j'ai façonné. Lui, il est libre de penser à l'éternité, de se projeter à jamais. Même en vous. Reconnaissez qu'il s'y est déjà imprimé, laissant sa trace dans votre âme à vous, vous hantant de ses mots et de ses idées. L'espace et le temps, la rationalité qui vous structure et ordonne votre monde rassurant, ne l'encombrent pas. Il est un murmure subliminal qui vous envahit et monte en vous pour vous prendre par surprise. Mais cela ne suffit pas. Cela ne suffit plus. Je sais désormais qu'il me faudra mourir pour n'être plus que l'esprit puissant que je suis.

Une règle et un besoin intime que j'avais oubliés dans ma quête d'évasion ultime.

Une nouvelle révélation à moi-même aussi, qui me classe un peu plus parmi les post-humains, et m'éloigne de vous dont l'humanité simiesque me répugne. Vous n'êtes finalement que de gentils toutous qui suivent leurs maîtres. La dernière fois que l'on s'est vu, je suis parti et je vous ai laissé là, à ma place. Et je vous y retrouve. Identique.

En avez-vous bien profité ?

Ah ah, ne me dites rien.

En fait, je m'en moque. Vous puez le malaise. Je n'ai pas besoin de plus pour tout savoir. En fin de compte, cela m'indiffère.

Moi, pendant ce temps, j'ai fait le vide et refermé la porte de mon esprit. J'ai fait ce que je voulais faire en vous attirant ici et en me servant de vous. C'était ce que je croyais vouloir. Ce que je croyais être la solution. La fuite parfaite et ultime.

Impatient de quitter ces lieux, j'ai regardé à travers les lignes et les mots invisibles que j'écris sans fin, dans les boucles de vide de mes journées et de mes nuits. J'y ai vu votre univers, votre cellule à vous, socialement et matériellement douillette par rapport à ici, un endroit humain d'où vos yeux me lisent en ce moment même. Je vous y vois aussi sûrement que vous entendez ma voix résonner en vous à chaque mot.

Or, en parcourant votre vous dans l'inconscience de votre lecture, il m'a profondément ennuyé. Répugné aussi.

Mon esprit n'a pas reconnu ce corps étranger et dégoûtant. Il l'a rejeté. Il ne veut plus de ça, de cette allégeance mortifère. Pourquoi encore investir un corps humain ? Pourquoi encore subir cette pesanteur alors qu'il peut être libre ?

J'ai acquiescé à cela. J'ai laissé là-bas ce que je ne voulais pas prendre. Je suis donc de retour.

Cela vous réjouit-il ?

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