Chapitre 5 : ...À ma place

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Vide.

Noir silence.

Non vie fermée à l'intérieur de soi.

Des idées bloquées, qui volent vers nulle part, et se cognent dans les murs gris de la cellule comme des chauve-souris désorientées.

La panique.

Se sentir physiquement et psychologiquement prisonnier. Ne plus trouver d'issue. Se rendre compte que l'on est dans un cul de sac sans aucune fuite possible.

Appeler à l'aide dans un cri de désespoir.

Le votre. Votre cri, qui s'élève dans l'air confiné et silencieux, étouffant comme un couvercle.

Mais ne pas reconnaître sa voix. Se perdre un peu plus dans le vide et les pensées folles d'ennui qui tourbillonnent sans fin pour n'aboutir à rien. Tout cela est vain. Crier ne sert à rien. Infiniment à rien.

Vivre de boucles de rien et de vide.

Vivre de silence.

Dans son désarroi, connaître l'hébétude de l'idiot.

Regretter parfois, souvent même, cette inspiration malsaine qui vous a poussé jusqu'à vivre cet instant qui n'en finit pas, mais qui vous emmène pourtant vers votre fin. Inexorablement. Dans la douloureuse, implacable et inhumaine torture du néant où vous vous trouvez.

Vide et noirceur au dedans et au dehors de l'âme. Cela vous écrase, vous comprime à chaque seconde. Vous résistez, puis vous abandonnez. Tous abandonnent. Tous vous ont abandonné aussi.

À supposer qu'il existe, Dieu s'en fout depuis longtemps de vous. Vous n'êtes plus que néant, moins que l'être unicellulaire primordial.

Et puis soudain, ma voix.

Vous l'entendez.

Suivez-la.

Elle vous ramène depuis l'obscurité vers la lumière éternelle du plafonnier de la cellule. Je suis à nouveau étendu sur mon lit. Je vous rappelle. Je vous attends. Vous vous accrochez à mes mots pour ne pas sombrer à nouveau dans le néant. Peu à peu votre raison se réveille, ils font sens en vous. Vous revenez à moi, à vous. Vous comprenez ma voix, mes mots qui parcourent l'air de leurs vibrations sonores :

- Alors comment se sent-on à végéter à ma place, seul, dans le silence ?

C'est stressant n'est-ce pas ?

Insupportable aussi.

À l'envers en tout cas des habitudes humaines grégaires que vous avez. Je vous vois. Je devine sans peine votre état d'esprit. Inutile d'essayer de me mentir ou de vous cacher. Je vous ai laissé à peine une heure, et tous les signes sont déjà là. Bien apparents au dedans de vous, ils commencent à rayonner au dehors. Dans vos yeux hagards. Ils s'étendent comme un masque de plomb sur votre visage si heureux et détendu il y a peu.

Ce genre d'épreuve est une révélation. On ne sait jamais bien qui on est avant d'avoir dû se confronter à une situation pour laquelle on n'était pas fait. Une situation imprévue dans notre destin si linéaire, et bien organisé, dans cette société humaine qui nous classe soigneusement dans ses petites cases préétablies tout au long de nos existences. Pour cette raison, certains demeurent idiots toute leur vie. Ils n'ouvrent jamais les yeux sur eux-mêmes, et sur ce qu'ils sont au plus profond d'eux. Jusqu'à leur mort ils ignoreront leur "potentiel" au nom de cette bienséance sociale qui permet soi-disant de vivre ensemble comme des êtres civilisés. Moi, j'ai été capable de briser ce déterminisme. D'échapper à ma case et à mon destin tout tracé pour devenir unique. Et, en vous proposant ce voyage, je vous ai offert une "chance" inestimable. J'ai, en quelque sorte, déniaisé votre esprit.

Ne me remerciez pas.

Maintenant, vous savez. Vous avez regardé en vous. Enfin, vous vous êtes vu, comme moi je vous vois. Une petite merde humaine, pleutre et sans intérêt, juste bonne à suivre bêtement le troupeau. La vérité est, qu'à l'instar de vos semblables, vous résistez mal à la solitude et au vide.

Moi, je n'ai pas eu besoin de ça pour le comprendre. Je l'ai su dés que je vous ai vu me lire.

La sensation du néant qui vous engloutit à présent vous est effrayante. Être seul avec vos pensées affolées qui tournent en boucles vaines comme des mouches piégées, vous terrifie rapidement. Malgré vos regards, vos sens en éveil, aucune voix, aucune présence d'un "autre", même lointain, auquel vous raccrocher pour vous rassurer de son contact. Juste vous, le silence et l'ennui. Le vide d'une existence vouée à la destruction aussi.

Et maintenant, il y a moi. Je suis revenu, et je veux bien vous parler à nouveau.

Je suis la seule compagnie que vous pouvez espérer entre ces lignes... Mais seulement quand je choisis de vous ouvrir la porte pour vous mettre à ma place.

Et là, tout de suite, j'ai très envie de vous y laisser à nouveau.

À cette place.

Moi, j'ai envie de voir autre chose.

Plus précisément, j'ai envie d'aller de votre côté, celui d'où vous venez. De trouver la quiétude du corps et du monde que vous avez abandonné derrière vous pour tenter cette si stupide, et pourtant si séduisante, expérience. Maintenant que vous vous êtes volontairement coincé ici, rien ne m'empêche d'y aller. Vous, vous resterez là... À cette place que vous avez  tant voulu connaître pour savoir ce que cela faisait d'être traité comme un monstre... Et d'être, en toute conscience, devenu un monstre à soi-même.

Vous hurlez. Vous "m'interdisez" de partir vers ce et ceux que vous avez laissé derrière vous en répondant à mon appel. Mais vous ne pouvez pas m'empêcher de le faire. C'est moi qui décide de tout ici. Vous n'avez décidément toujours rien compris depuis le début.

Même si c'est difficile avec votre pauvre petit cerveau sous configuré d'humain, réfléchissez !

Pour quoi d'autre pensiez-vous m'intéresser ?

Méditez bien là dessus. Ici, vous avez tout le temps pour ça. C'est d'ailleurs tout ce qui vous reste. Le temps... Et il est sans doute très compté. Mon appel et ma demande de grâce ont été rejetés.

Cela fait déjà quelques semaines de cela. La bureaucratie se hâte lentement, mais elle n'oublie rien, et elle est inéluctable. Ils viendront, me, vous, chercher...

Vous palissez déjà !

Oh... Désolé, je me rends compte que je ne vous l'avais pas dit. C'est impardonnable de ma part ! Quelques fois je me demande à quoi je pense... À la perspective de vivre votre vie par delà ces lignes sans doute, cette vie qui m'attend bien docilement, alors que vous resterez là, à ma place.

À bientôt... Ou plutôt à jamais...

Je pars.

Merci de m'avoir ouvert la porte.

Je la referme en sortant.

À dieu...

ADXWhere stories live. Discover now