Chapitre 2 : Porte & Pressions

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Cinq ans que je me préparais à cet instant. Cinq longues années d'entraînement, d'organisation, d'inquiétude. Cinq ans de visions d'échec, de larmes, de cauchemars. Pas le temps d'y penser. La porte résistait à ma poussée. J'insistai. Elle céda enfin, dans un grincement insupportable. Une petite fenêtre haut placée révélait un croissant de lune. Sa lumière froide tombait sur six sarcophages de pierre.

Je me penchai au pied du plus proche. J'appliquai une série de pressions sur les bords. Maman avait raison : le couvercle s'ouvrit !

Il dévoila une fillette de dix ans, pâle et totalement immobile. Ses cheveux roux encadraient l'ovale parfait de son visage. Dix ans, c'était aussi le temps écoulé depuis qu'Estonia, ma sage sœur aînée, reposait dans son tombeau. J'avais pleuré comme coule un torrent, du haut de mes cinq ans, lorsque Kronak-Is, notre père, l'y enferma. Elle fût la première à échouer lors de son initiation aux Mystères.

Le sarcophage suivant abritait Ira, ma seconde sœur. Née deuxième, elle voulait toujours être la première en tout. Si notre père avait cédé, Ira aurait été initiée avant Estonia. Sa beauté était stupéfiante, même dans l'immobilité de la mort.

Un infime frottement derrière moi me fit sursauter. Personne n'était visible par la porte restée ouverte. J'y retournai en silence pour jeter un oeil dans le couloir. Rien. Peut-être était-ce le bras du garde qui avait glissé ? Pas le temps de chercher davantage.

Les trois sarcophages suivants abritaient mes frères. Dimitrios, le manuel, toujours un outil en main. C'était le plus trapu de la fratrie.

Sidonias, le colérique, que tout le monde fuyait comme la peste. De loin le plus grand, il allait sûrement mal vivre de devoir lever les yeux pour me regarder.

Et enfin Adrianos, dont chaque phrase commençait par « pourquoi ». C'était mon préféré. Nous n'avions qu'un an de différence, à l'époque, et nous étions inséparables. J'ai pleuré tous les soirs après qu'il m'ait été arraché.

Le sixième et dernier sarcophage révéla une fillette au crâne rasé. Je ne l'avais jamais vue auparavant. C'est Maman qui l'avait déposée là, après l'avoir échangée contre moi. Elle avait dû ruser avec mon père pour me raser les cheveux avant mon initiation aux Mystères. Ainsi, elle avait pu placer une orpheline dans mon sarcophage, sans devoir en trouver une aux cheveux aussi rouges que les miens. Ce qui aurait été totalement impossible.

Je pressai les points en relief indiqués par Maman sur les six tombeaux de pierre. J'aurais préféré les réveiller les uns après les autres. Que chacun ait le temps de réaliser les années écoulées. Mais cela aurait pris un temps précieux. Je n'avais pas ce luxe.

Des lumières clignotèrent sur les cinq premiers sarcophages, comme des bougies enfermées dans la pierre. Le dernier, celui où j'aurais dû me coucher le jour de mon dixième anniversaire, resta inerte. La colère monta en moi. La fillette inconnue que je croyais figée dans son sommeil était-elle vraiment morte ? Je n'avais pas la moindre idée de ce qui se passait. Ni de comment résoudre ce problème. La petite chauve ne partirait pas avec nous.

Encore une victime de notre père !

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