menteur

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Sur la chaise en cuir, bien apprêtée comme si j'attendais quelqu'un, les brutes paroles de ma propre réalité jusqu'alors ignorée : je me complais dans cette tristesse depuis toujours et les larmes de la veille n'ont eut pour source que moi. A mesure que les paroles se déliaient, plus sincères que d'habitude et moins structurées puisque n'ayant même plus l'envie véritable de me montrer mesurée, mise de côté pour me faire entendre, la voix s'abaissait, plus calme qu'elle ne l'a jamais été, presque mal à l'aise à l'idée d'à nouveau gêner ; imaginaire inventé de toute pièce pour m'éviter de souffrir davantage, personne ne m'abandonnera avant que je le fasse et personne n'aura plus d'importance pour moi, du moins je ne ferais plus jamais confiance et je ne croirais plus à rien, je lis d'anciennes lettres et je n'ai plus qu'un mot en tête : menteur.

Après-midi sinistre de janvier où je me suis laissée tomber en plein aéroport, pleurant toutes les larmes qui n'attendaient que ça, sortir, s'échapper, sur une chaise collée à d'autres mais il n'y avait que moi et c'était bien le problème : j'étais seule, il n'y avait plus personne, plus rien, même une simple preuve d'un amour censé exister et vivre depuis deux ans n'y était pas, je n'ai jamais eu cette lettre et ses excuses n'ont jamais sonné si fausses, je les ai longtemps détestées. Je relisais le message encore et encore, comme s'il s'agissait d'une erreur, avec l'espoir qu'il mente, qu'il se rétracte, ou qu'il exprime un infime regret quant à cet abandon, pire qu'un abandon mais un couteau planté dans le ventre en addition des autres présents depuis longtemps, sûrement depuis ma naissance ; il ne m'a rien dit d'autre, j'aurais pu verser ces larmes en face de lui, les genoux au sol et le visage boursouflé de toutes ces émotions qu'il ne m'aurait rien dit de plus que ce qui était énoncé, il n'y aura pas de lettre, il n'y a jamais eu le temps pour moi. J'ai cherché toute ma vie un moyen d'être aimée, j'ai attendu toute ma vie le jour où je serais enfin aimée sans être rejetée pour finalement subir la même chose que ces dernières années, me faire une énième fois rejeter par tous ceux que j'aime, que j'aimerais sans doute toute ma vie mais pour un rien ; je ne suis rien de plus, rien de moins, je ne supporterais jamais cette place, je n'en ai pas besoin, je ne la veux pas, les larmes ne s'arrêtaient pas, deux heures à couler sans réussir à les calmer, il m'a menti, il m'a menti tout ce temps et je l'ai cru, il a réussi à me faire croire à cet amour réciproque alors qu'il n'existe pas, n'existera jamais tel que je l'aimerais, conditionné à une image de moi qui n'existe pas, je savais bien qu'il avait changé, je relis les messages et ils ne veulent rien dire, j'écris quelques paragraphes auxquels je ne crois pas moi-même, de quel amour tu parles, de quelle acceptation tu parles, je me rappelle de tout ce qu'il a dit et des mots résonnent encore ; je suis véritablement seule, ce n'est qu'un menteur.

Les yeux gonflés à l'arrivée, il n'y a pas la mer, il n'y a personne qui m'attend, il n'y a rien chez moi, pas même une simple lettre, pas même une infime preuve que tout ce que je pense et dit n'est qu'inutile ; tous ces textes que j'écrivais en Algérie m'ont aidée à tenir ensuite, à me rappeler de toute cette peine que j'ai continué d'alimenter et qui n'a pas voulu partir, toute cette rancoeur que j'ai gardé parce qu'il ne s'est jamais excusé, ne s'est jamais expliqué autrement qu'en m'insultant, peine que j'entretiens pour me rappeler qu'elle a existé et qu'on a certes voulu que je la réprime mais je veux, j'ai besoin de m'entendre, j'ai besoin de me rappeler, si personne ne veut m'écouter je me dois de me faire cette faveur, je me dois de me sauver seule, de me ramasser seule, écouter mes pleurs et essuyer mes traces, mes propres mots que je relis encore et encore pour ne jamais oublier, la rancune que j'alimente encore et encore pour ne pas me laisser tomber, je me souviens de tout ce qu'il m'a dit et même les belles choses mais je ne pense qu'au mensonge, pourquoi me faire si mal si tu m'aimes, pourquoi me faire pleurer à l'angoisse si tu m'aimes, pourquoi ne pas être capable de me dire ce que tu penses vraiment si tu m'aimes ? Mes derniers étés n'ont été que courir derrière la certitude de cet amour et je n'ai même pas été suffisamment intéressante pour mériter une lettre le jour où tout le monde m'a rejetée, le jour où j'ai pleuré des heures parce que je me sentais seule et abandonnée, au point de non-retour, je n'ai jamais été suffisante à quoi que ce soit et tout s'est confirmé ce jour d'hiver où il pleuvait autant que moi, je n'ai jamais tant plu !

Sur cette chaise en cuir, assise et plus calme que d'habitude, anesthésiée après des jours passés à ruminer à en vomir, elle m'a dit qu'il ne s'agissait que de ma capacité à apprécier ma situation, à alimenter mes propres spectres pour me rassurer, c'est tout ce que j'ai toujours connu, le véritable amour me terrifie, la paix me terrifie davantage ; et quand bien même je comprenais et je voyais bien ce qu'elle voulait dire, je n'ai toujours vu que ma propre réalité, je me rappelais de ce qui m'a forcé à entretenir cet imaginaire, je me rappelais de tout ce qui m'a fait mal, de ce jour de janvier, de l'été dernier, de ses paroles et peu importe qu'elles soient belles ou insupportables, il ne me restait qu'un mot en tête en même temps qu'elle m'expliquait mes torts : ce n'est qu'un sale menteur.

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⏰ Last updated: May 02 ⏰

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