Chapitre 1: Au seuil du destin

53 9 7
                                    

"Était-il une fois ?" me demandais-je, les yeux levés vers l'immense portail du monastère qui avait été mon univers durant tant d'années. Je me tenais là, à la lisière d'un monde connu, sur le seuil d'un conte dont j'ignorais encore si j'en étais le héros ou un simple figurant. Depuis l'enfance, enfermé entre ces murs, j'avais été formé pour servir, pour devenir un pilier de la cité, un oblat promis à un avenir de dévouement. Mais à cet instant précis, une mer d'incertitudes m'envahissait.

Le portail s'ouvrit avec un grondement sourd, ses gonds séculaires protestant contre le mouvement après des années d'immobilité silencieuse. J'observa la lourde porte s'écarter, le bruit résonnant dans le calme du monastère comme un présage. Le monde au-delà de ces murs avait toujours été une abstraction. Mais à présent, alors que le réel et le tangible s'ouvraient à moi, une multitude de questions assaillaient mon esprit. Je ne pouvais m'empêcher de penser que le grincement lourd de la porte était à l'image de ce qui m'attendait : un monde, où chaque pas en avant devrait être gagné avec effort et détermination.

Devant moi, la cité s'étendait, un monde vibrant de vie et de mystères, un terrain fertile pour des légendes en devenir, tout comme les pages d'un livre ouvert sur des histoires à raconter. Étais-je destiné à être l'un de ces héros épiques dont les exploits sont chantés à travers les âges ? Ou ma vie serait-elle plutôt celle d'un personnage en quête de sens, marchant à tâtons dans le labyrinthe de son existence ?

"Le vrai monde m'approche," songeais-je, un frisson d'appréhension parcourant mon échine. Mais au fond de moi, une flamme d'excitation commençait à brûler. Après tout, n'était-ce pas là l'essence même de la vie ? Un chemin parsemé d'obstacles, certes, mais aussi d'opportunités pour grandir, pour apprendre et, ultimement, pour trouver sa place dans le grand récit du monde.

Mes pensées furent interrompues par le bruissement de la robe d'un autre oblat qui passa à côté de moi, me ramenant à la réalité de ce jour. Le cœur du monastère avait été un havre de paix, un sanctuaire où les seules tempêtes étaient celles de l'âme, des débats de morale et de foi. Ici, dans ce lieu sacré, j'avais appris à naviguer dans les eaux profondes de la contemplation et de la méditation, mais le monde extérieur promettait des défis d'une toute autre nature.

Dans la pâle lumière de l'aube, nous, frères d'âme et compagnons de longue date, nous tenions là, silhouettes éphémères enveloppées dans la fraîcheur du matin naissant. Nos adieux, chargés d'une émotion brute, résonnaient avec une intensité particulière, teintés d'une tristesse que nous tentions maladroitement de dissimuler derrière des sourires tremblants.

Chaque accolade, chaque échange, semblait marquer la fin d'une ère, la conclusion d'un chapitre écrit ensemble dans les annales de notre jeunesse. "Fais honneur à notre enseignement, Odilon," me murmura doucement l'un d'eux, sa voix ébranlée par un sentiment palpable de perte. Ses mots s'insinuaient dans mon cœur, lourds de vingt ans d'amitié, d'apprentissages partagés, et de moments intimes connus seulement de ceux qui ont vécu, jour après jour, côte à côte, dans la quête commune de la sagesse.

"Que ta quête te révèle le chemin de la vérité," renchérit un autre, posant une main réconfortante sur mon épaule, un geste simple mais empreint d'une solidarité inébranlable. Ces paroles, échangées dans le secret de l'aube, semblaient surgir d'une réalité distante, un lieu sacré où notre foi commune était le dernier rempart contre les incertitudes du monde extérieur.

L'air semblait vibrer d'un mélange de nostalgie et d'anticipation, chaque regard échangé entre nous porteur d'un millier de mots non dits, de souvenirs partagés, et de rêves silencieux pour l'avenir. La séparation imminente pesait sur nos épaules comme une étoffe trop lourde, tirant sur nos cœurs avec la force inexorable du destin.

La Nouvelle-FranceWhere stories live. Discover now