Chapitre 7 - GABIN

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Mi-septembre

― Tu me fais un bisou ? demandé-je à Jo avant de le laisser entre les mains de son professeur.

La bouche baveuse de mon fils vient s'appuyer sans retenue contre ma joue. Je souris sous l'œil amusé de son professeur qui l'attend. Les tensions avec monsieur Gauvain se sont calmées depuis deux semaines. Notre trêve semble porter ses fruits, à mon plus grand plaisir. J'en viens à avoir presque hâte de déposer Jo à l'école pour pouvoir discuter avec Marwan. Cependant, mon cœur se serre toujours autant lorsque vient le temps de dire au revoir à Johan. Son professeur soutient que ça me passera, Raphaëlle est d'accord avec lui, mais je crains que non.

― N'oublie pas, Jo, c'est peut-être Raph qui vient te chercher ce soir, lui rappelé-je.

Je sens le regard inquisiteur de monsieur Gauvain. Je l'ignore, refusant de devoir me justifier.

― Pourquoi ? questionne Johan.

― Parce que j'ai un rendez-vous important, je te l'ai expliqué hier...

― Pour le travail ?

Je hoche la tête, alors que ce n'est pas la vérité. C'est pourtant plus simple de dire à Johan que j'ai des complications au travail que de lui avouer que je vais revoir sa génitrice après six ans.

Je ne sais pas combien de temps me prendra cette rencontre, ni même comment je me sentirai une fois qu'elle sera terminée. Je m'attends au pire, car c'est toujours comme ça avec Ludivine. Je ne me souviens pas de la dernière fois où un échange s'est bien passé avec elle. Ça fait trop longtemps et malheureusement, si la mémoire est une faculté qui oublie, le cœur, lui, se rappelle bien toutes les merdes vécues. Satané organe.

Semblant ne pas y prêter attention, Johan me fait un salut de la main et s'enfonce dans la cour, snobant légèrement son professeur. Ce dernier se tient toujours contre portail, avec nonchalance, comme si le lieu lui appartenait. Je reste silencieux face à lui pendant quelques secondes. Gauvain a l'air d'avoir quelque chose à ajouter, mais il ne dit rien. Je vois pourtant qu'il se mord la lèvre, curieux. Ça lui arrive souvent, j'ai remarqué. C'est amusant, mais pas pour aujourd'hui.

― Je vais faire mon possible pour être là, lui dis-je comme si je lui devais quelque chose.

― C'est que... hésite-t-il. Vous n'avez pas encore mis Raphaëlle dans la liste des personnes qui peuvent venir le chercher. J'ai été pris au dépourvu la première fosi et j'ai complètement oublié de vous le dire. Il faudrait que vous passiez au secrétariat pour remplir le formulaire ou alors le faire par mail, comme ça vous a été envoyé avant la rentrée. Sinon, y a toujours le service de garde...

― Mon autorisation verbale ne suffit pas ?

Gauvain secoue la tête et m'offre un regard désolé. Je trouve ça complètement stupide, sachant qu'il sait très bien qui est Raph. Je roule des yeux grossièrement. Notre trêve ne risque pas de tenir longtemps si je continue à être désagréable, mais je ne peux pas m'en empêcher. Et comme la semaine précédente, je blâme mon ex-femme.

― J'suis désolé, renchérit-il. Il nous faut juste une fiche de cas d'urgence. Vous n'avez pas inscrit la maman non plus...

Je grince des dents au mot « maman ». J'ai entendu ça tellement de fois. À croire que la monoparentalité n'existe pas et encore moins lorsque c'est seulement le père qui est présent. Marwan constate ma mauvaise humeur et s'excuse une nouvelle fois pour une raison que j'ignore. Ce n'est pas sa faute s'il assume immédiatement que Johan a une maman, c'est la société qui le veut ainsi, mais ça m'énerve quand même. J'ai l'impression que je ne m'en sortirai jamais.

― Je peux aller au secrétariat maintenant pour ajouter Raphaëlle ? Oubliez la génitrice, l'avertis-je en lui faisant bien comprendre où je veux en venir.

― Oui, Sophie devrait être dispo'. Bon courage pour le travail.

Je hoche la tête et le quitte aussi vite que je suis arrivé. Je me rends jusqu'au secrétariat et demande les papiers qu'il faut selon monsieur Gauvain. Je vois que la secrétaire n'est pas contente que je n'aie pas rempli le formulaire par mail comme me l'a suggéré Marwan.

― Pas l'temps ! lui expliqué-je en grognant.

J'essaie de m'appliquer pour écrire le nom de Raph, son adresse, son numéro et toutes les conneries qu'ils demandent pour être sûrs que ma meilleure amie n'est pas une psychopathe-kidnappeuse d'enfants. Je rends les papiers à la secrétaire et me retiens de lui jeter son crayon à la tronche.

― Il manque les renseignements de la mère, ajoute-t-elle.

J'ai l'impression qu'on me fait une blague ! Pourquoi c'est aujourd'hui qu'on me parle de Ludivine ? Est-ce marqué sur mon visage que j'ai rendez-vous avec elle ?

― Non existante ! me fâché-je. Vous avez tout ce qu'il faut ? Est-ce que mademoiselle Cloutier a le droit de venir chercher Johan Roy ?

Sophie, comme me l'a présenté Marwan, lit le formulaire et hoche la tête. Je soupire et me lève de la chaise. Je remercie la dame plus convenablement et file.

Avec le bus, il me faut plus d'une quinzaine de minutes pour me rendre sur mon lieu de travail. Je vois que Raph est déjà présente, occupée à faire un expresso pour le client qui attend devant le comptoir. Je passe derrière celui-ci, jette mon pull dans un coin de la pseudocuisine, prends un tablier et fais face au client.

Au gré des sentiments - T.1 [BxB]Where stories live. Discover now