III. Prix littéraire

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Le miroir capturait un instant le poète. Ce dernier arrangeait avec soin la cravate qui terminait sa tenue. Ses yeux naviguèrent à travers le verre de l'objet, admirant le reflet de Jeanne qui finissait tout juste d'attacher son chignon comme à son habitude. Ses quelques mèches grises fondaient parfaitement aux blanches qui enjolivaient son âge. Son regard se baladait ensuite vers les yeux saphirs, il aimait plonger dans ses iris qui l'obsédaient avant de reprendre le large vers le petit grain de beauté qui se trouvait sur sa joue droite. C'était le détail préféré de son portrait, ce trait particulier qui faisait resurgir la nostalgie. La nostalgie d'un temps qui s'échappait au fur et à mesure de sa mémoire.

Mais le temps n'avait pas estompé son admiration.

Finalement, quelques minutes plus tard, les deux amants étaient déjà partis. Il leur fallut une bonne vingtaine de minutes avant d'arriver à destination. Leur soirée avait été réservée dès l'instant où Léonard avait reçu une lettre de l'Académie Française et il était certain que Jeanne ne pouvait rater une telle soirée de récompenses littéraires.

Cette assemblée allait permettre de nouvelles rencontres à tous les écrivains invités mais aussi de récompenser les plus méritants suivant les dernières sorties officielles.

A peine arrivée, le vieil homme avait déjà retrouvé ses amis éternels, qui le saluèrent amicalement d'une poignée de main assurée. La plupart des poètes se connaissaient et se côtoyaient, en tout cas pour les plus connus. Ainsi Mallarmé et Rimbaud vinrent à sa rencontre après avoir tiré leur chapeau à Jeanne, qui leur présenta ses hommages. Peu importe les années d'expérience que son mari avait, la main de Léonard maintenait la sienne avec douceur et fermeté. Et, par automatisme musculaire, son pouce caressait ses doigts dans une lenteur qui apaisait son cœur.

Tous les invités prirent place sur leur chaise, alors que les principaux organisateurs de la soirée se présentèrent sur scène.

« Avant de commencer, déclara Stéphane Mallarmé, j'aimerais que nous dédiions cette soirée à mon ami, et poète de l'éternel, Victor Hugo. A Hugo. »

Les verres de vin de champagne se rapprochèrent du plafond alors que les voix scandaient la dédicace à l'unisson. Il eut un moment de silence, seuls le son des mouvements des corps se distinguaient parmi l'assemblée, qui se tenait dans la salle de réception du Théâtre de Châtelet. Pour l'occasion, les grands rideaux rouges demeuraient accrochés sur les deux côtés, ce qui permettait au public de distinguer la scène. Les lumières fonctionnaient toujours par gaz d'éclairage, ce qui facilitait la perception du chevalet dressé à l'avant. Il y avait aussi deux tables en bois côté cour où disposaient des petits trophées en bronze.

Pour Jeanne, la soirée fût longue. Elle n'avait pas pour passion la littérature et la poésie, seulement celle de son mari lorsque ses vers lui étaient dédiés. Sa préférence pour les domaines scientifiques la passionnait davantage, bien que l'exercice de ceux-ci demeurait impossible. Alors la vieille femme se contentait de lire les quelques livres scientifiques que dénichait Léonard pour elle, même si sa lecture se bloquait rapidement par manque de connaissances. Dans ce cas-là, il faisait le nécessaire pour l'avancée dans celle-ci.

Depuis l'ouverture de la cérémonie, plusieurs prix avaient été décernés à certains chanceux qui se trouvaient là. Leurs discours se plaçaient entre les vagues d'applaudissements et quelques cris scandés avec passion, des sourires gagnaient des visages. Enfin, après une patience outrageante.

« Nous remettons la récompense de la meilleure sortie littéraire au recueil de poésie La douceur des merveilles de Léonard Poirier ! »

Toute la salle hurla de joie.

La joie de Jeanne était telle qu'on pouvait distinguer ses dents blanches et de la fierté au coin de son sourire. Le concerné se redressa d'un coup et déposa avec attention un baiser furtif sur son nez, avant de rejoindre l'allée le menant sur la scène. Accueilli par une ovation qui n'en finissait pas, ses lèvres fines s'étirèrent malgré elles. Son épouse cru apercevoir ses pommettes s'empourprer alors que ses doigts frisottaient inconsciemment sa moustache. En arrivant sur l'estrade, il ne put s'exprimer qu'au bout d'une bonne minute d'acclamations.

« Je suis profondément touché et reconnaissant de me voir adressé cette récompense pour la troisième fois consécutive, mais que pour autant je juge être à la portée de tous mes chers amis poètes qu'on ne présente plus. »

Son regard appuya son propos, les concernés inclinaient de la tête avec des esquisses radieuses.

« J'ai terminé l'écriture de ce recueil avec une certaine amertume, je dois l'avouer. Avant d'être à mes yeux un homme important de ce pays, Victor est pour moi un ami. Et qu'importe l'âge, la perte d'un ami d'enfance et de toujours est une épreuve du cœur, heureusement les précieux souvenirs ne sont pas morts avec lui. C'est à lui que je dédie cette récompense. »

L'assemblée applaudit.

« Pour finir, je souhaite adresser ces derniers mots comme je le fais d'habitude à ma douce Jeanne. Ses soixante-trois ans de mariage me convainquent que l'amour est une source inépuisable d'inspiration. Même après une vie éternelle, je pourrais trouver quelques tendres mots pour exprimer l'apaisement que je ressens encore et toujours à vos côtés. Merci d'être la muse dont chaque artiste rêve de voir exister. Merci. »

Après un signe de la main au public, les gens acclamèrent encore lorsqu'il prit la marche pour retourner à sa place. Cette fois-ci, ce furent les lèvres de Jeanne qui s'écrasèrent sur le nez de Léonard. Ce dernier en profita pour entrelacer leurs doigts pendant que son attention remerciait ses amis poètes le félicitant.

Le vieil homme prit un instant pour se retrouver dans ses pensées, le dos collé à son siège rouge. Revenant quelques années en arrière, au temps où sa carrière de poète était au point mort. Malgré la parution de ses quatre premiers recueils de poèmes, il n'avait rencontré de succès. Les doutes et les questions lui revinrent avec affolement alors son cœur chassa tout de suite cette angoisse. La possibilité de vivre de sa plume relevait d'une chance qu'il n'aurait pu avoir si Léonard n'avait pas croisé le chemin de son ami. Il estimait beaucoup l'opportunité qui avait fait irruption dans sa vie au meilleur moment. C'était l'une des choses dont le poète demeurait le plus reconnaissant.

La poésie avait fini par rythmer aussi sa vie. 




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Alors qu'avez-vous pensé de cette scène ?

On aime la déclaration de Léonard à Jeanne devant tout le monde ? ;)

N'hésitez pas à me laisser votre avis, je lis avec grand plaisir !

A vendredi ! <3

Lauren

Lauren

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La muse ou le vaniteux papillonWhere stories live. Discover now