14. Matias

13 2 2
                                    

Ainara se déplace rapidement parmi les livres. Mino la suit de près, tandis que je marche un peu derrière eux.
- Je ne veux pas te rappeler de choses tristes, fait Mino après un court silence. Mais qu'est ce qui est arrivé à ton cousin?
Je me fige intérieurement devant la question. Mino, mais ça va pas enfin?
Ainara lève des yeux tristes vers lui.
- Il est allé chercher un très gros livre, haut sur l'étagère. Un atlas. Il a donc pris l'échelle. Arrivé en haut, il a été surpris par le poids du livre. Il a perdu l'équilibre.
J'écarquille les yeux. Je ressens un mélange d'horreur face à la cause de sa mort, et de choc face à la désinvolture d'Ainara. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle réponde, et encore moins sans poser de questions.
- Matias est tombé en arrière, poursuit-elle d'un ton las. La tête la première. J'ai essayé de le rattraper. C'était ridicule, je n'aurais rien pu faire, je le sais. Mais j'ai quand même essayé. La seule chose que j'aie pu attraper, c'est sa cheville. Ça m'a cassé le coude. Il est tombé très vite, tout est allé très vite.
Elle soupire.
- Et sa nuque a éclaté sur le bord d'une table.
Sa voix s'est brisée sur cette dernière phrase. Je me sens horriblement mal d'entendre une telle horreur. Pauvre mec. Et surtout, pauvre Ainara.
Une larme, une seule et unique parle, coule sur sa joue. Mon coeur se serre. Elle ne l'essuie pas.
Alors Mino s'approche d'elle et la prend dans ses bras. Il entoure ses épaules et pose son menton dessus.
- Je suis désolé.
Je suis paralysé. Subjugué.
Il. L'a. Prise. Dans. Ses. Bras.
Mino.
Espaminondo Julio Gerardo Alcatraz.
Et, pire, Ainara, après quelques secondes d'immobilité, enfonce elle aussi son visage dans le cou de mon ami et lui rend son étreinte.
- Et moi pour ton père.
Alors là,  je ne respire plus.
Je commence à paniquer.
Leur câlin ne dure que quelques secondes, mais j'ai la sensation qu'il dure des mois. D'un côté, je jubile intérieurement. J'ai l'impression d'avoir assisté à un événement rarissime et spécial, d'avoir découvert l'invention du siècle. Mino a fait un câlin à une fille. Waouh. D'un autre côté, je suis quand même en profond choc, et encore marqué par l'atroce récit de ladite fille.
Lorsqu'ils voient mon expression, je vois malgré la pénombre que Mino vire rouge violacé. Il me foudroie du regard:

- C'est bon, c'est pas non plus comme si on s'était embrassés!

Je souris, profondément ravi:

- Eh bien, je crains et espère, très cher camarade, que ca ne tardera pas trop.

Là, c'est Ainara qui pique un fard.

- C'est là.

Je regarde l'étagère devant nous, toujours euphorique. Mino, quant à lui, me fait la gueule. Mais alors, la vraie gueule.

Après, je peux pas non plus prétendre en avoir quelque chose à faire. Je lui fais donc un clin d'oeil.

-Mmhm... et y'a quoi, là?

Ainara me lance un regard distant et fermé. Je manque de lever les yeux au ciel. Elle aussi? Vraiment? Pour ça? Quelles chochottes, eux deux.

-De très vieux livres, fait-elle.

Sans déconner.

- Et ceux-là parlent d'esprits, poursuit-elle après un court silence.

Puis elle se tourne vers moi:

- Et notamment de visions.

Ah. Ok. Là, ça m'intéresse. Elle aurait pu le dire tout de suite, aussi. Pff. Débile, cette fille.

- Bon, je vous laisse, fait-elle. Je reviens dans une demi-heure tout au plus. La seule chose que je vous demande, c'est de faire gaffe aux livres. Et au bruit. Certaines oeuvres tombent en poussière rien qu'en les touchant. Bonne chance!

Atocha TI - Digne de VivreWhere stories live. Discover now