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Je ne suis pas retourné voir Arzaylea. J'ai tellement pleuré que je n'ai plus de larmes. Mon quotidien s'est cependant quelque peu amélioré. Maintenant que je suis passé du statut de zombie dangereux à celui de victime, les soldats me laissent tranquille. Les scientifiques semblent avoir toutes les données qu'ils voulaient puisque je n'avais plus besoin de me rendre aux checks-up tous les matins. Mon quotidien se résume donc à attendre que quelqu'un décide de mon sort. Ce qui finit par arriver, peut-être plus tôt que je ne l'aurais voulu.
Un matin, Ryan et Aaron se présentent à ma porte. Ryan arbore une mine sombre, sa peau pâle jurant encore plus que d'ordinaire avec ses cheveux roux flamboyants. Aaron, en revanche, rayonne.
- Le colonel veut te voir, déclare Aaron en guise de salutation.
- Vu vos têtes je suppose que ça sent mauvais pour moi, je déclare en essayant de détendre l'atmosphère.
Raté.
- Je sais pas vraiment mais... commence Ryan.
- Ça craint, termine Aaron à sa place.
Ça à l'air de le réjouir. Depuis le premier jour il me déteste. Je déglutis. Ma vie entière craint, de toute manière. De mes nuits tourmentées à mes journées passées enfermé ici, je ne vois pas un seul moment qui vaut la peine d'être vécu. Au moins, ça change de mon morne quotidien. C'est ce que je déclare aux gardes.
- Ouais, là, pour changer ça va changer, murmure Aaron à mi-voix.

Ça doit faire une bonne heure que j'attends devant la plus grosse tente du camp. Le bureau du colonel m'a-t-on expliqué. C'est donc là que mon frère travaille. D'après les gardes qui m'accompagnent, on attends l'autorisation de rentrer. Je me demande quel est l'intérêt de me convoquer une heure avant de pouvoir me recevoir, à part me faire perdre mon temps. Quoique je n'ai pas exactement un agenda de ministre. De toute façon, j'ai eu le temps d'apprendre la patience dans mon cagibi.
Finalement, une femme sort.
- Rodrick Howell ?
Je m'avance vers elle. Elle a un mouvement de recul en me voyant.
- Suivez-moi. Tous, ajoute-t-elle à l'intention de Martin, Ryan et Aaron.
Nous entrons dans la tente. Il fait plutôt chaud à l'intérieur, enfin je suppose puisqu'un poêle à bois éclaire le centre de la pièce. Personnellement, je ne sens rien. Il y a des étagères remplies de paperasse. Ça ressemble à la tente des scientifiques, sans les paillasses et les docteurs en blouse blanche. À la place, il y a un homme assis derrière un bureau avec debout derrière lui mon frère. Angel me fixe de ses yeux froids. Les mêmes que moi. Il cille sans détourner le regard. Je reporte mon attention sur l'homme en face de moi. Le colonel, semble-t-il. J'ignore si je suis censé le saluer ou je ne sais pas trop quoi, mais je n'en fais rien. Lui non plus ne bouge pas. D'un geste de la main, il fait signe aux gardes et à la femme qui nous a fait entrer de sortir.
- Mais monsieur... commence la femme.
- Dehors tout le monde. C'est un ordre.
Il a une voix posée et calme. Je devine que c'est le père de Brittany McDean.
- Assied-toi.
Je tire une chaise en face du bureau. Je n'arrive pas à quitter des yeux Angel.
- Rodrick Howell, c'est ça ?
Je hoche la tête.
- D'après les résultats des expériences coordonnées par le sergent McDean, tu es à moitié humain, à moitié zombie.
Comme ça ne sonne pas vraiment comme une question, je ne prends pas la peine de répondre. Cette constatation, pourtant logique, me paraît barbare, violente. J'aimerai pouvoir dire que je suis tellement plus que ça. Mais je suppose qu'il vaut mieux que je me taise. Le sourire carnassier d'Aaron flotte dans ma tête.
- C'est dur de résister à la tentation d'attaquer les humains ? demande-t-il soudain.
Pris de cours je bégaye pendant un cours instant.
- Eh bien... ça dépend... je veux dire, quand j'ai mangé ça va.
- Mais ce n'est pas insurmontable.
- C'est comme avoir très faim, je confirme.
Même si je ne vois pas vraiment où il veut en venir, j'ai l'impression que je peux faire confiance à cet homme.
- Tu étais un nomade avant de venir ici ?
- Oui. Je viens d'Edmonton au Canada.
- Tu t'es déjà battu ?
La question me semble incongrue, mais je réponds tout de même :
- Oui, quelques fois.
La dernière remonte à ma rencontre avec Arzaylea. La première était contre Don et Mary.
- Très bien. J'ai un projet pour toi.
La réjouissance d'Aaron à l'idée de me voir convoqué ici me revient en tête et je commence à me méfier. Mais après tout, n'importe quel évènement qui m'éloigne de ma prison est le bienvenu.
- Quel genre de projet ?
- Je me rends bien compte qu'une force comme la tienne ne peut être gâchée. Imagine des soldats qui n'auraient pas besoin de dormir. Qui ne sentent pas le froid. Qui pourraient tordre le canon d'un pistolet d'un simple geste. Qui seraient résistants aux balles.
- Je ne sais pas vraiment si je suis résistant aux balles...
Et je n'ai aucune envie de le savoir. Le colonel ignore ma remarque.
- Avec cette armée que les zombies ignorent, nous pourrions venir à bout des infectés. Nous pourrions reconquérir l'Amérique. Et le reste du monde.
- Euh... ça ne va pas un peu loin pour un simple projet ? De quelle armée vous parlez ? Je suis seul.
Le colonel joint les mains sur le bureau. Derrière lui, je vois Angel serrer les dents. Ainsi, il a encore des émotions. Bien, ce n'est pas encore - excuse la métaphore malvenue - un zombie lobotomisé.
- D'après ce que m'a confié ma fille, ton sang pourrait transformer les humains en demi-zombies. Il faut encore faire des tests mais...
- Et si je refuse ?
Le colonel s'arrête net de parler. J'aurais profané une obscénité qu'il n'aurait pas réagit autrement. Le regard de mon frère reste impénétrable. J'ignore ce qu'il pense de tout ça. L'air semble soudain lourd.
- Refuser ? Mais pourquoi ?
En effet, ça ne doit pas sembler évident de son point de vue. J'ouvre la bouche pour m'expliquer mais Angel prend la parole à ma place :
- Il ne veut pas que les autres deviennent comme lui. Il ne veut pas que quiconque vive ce qu'il vit.
Le colonel tourne sa tête dans la direction de mon frère.
- C'est ce que vous pensez Howell ?
- Il ne veut pas qu'ils souffrent comme lui. N'est-ce pas Rick ? C'est une malédiction.
- Les zombies aussi sont une malédiction, contra son supérieur.
- Qu'est-ce qu'on en sait ? Nous les humains, nous avons peut-être fait notre temps.
- En tout cas c'est sûr que vous avez fait le votre. Capitaine Howell, vous serez le premier sujet à tester les effets du sang de votre frère.
Pendant un instant, ni moi ni Angel ne prononçons un mot, frappés par sa déclaration inattendue. Puis ce dernier s'exclame :
- C'est hors de question ! Je ne peux pas faire ça, je...
- C'est un ordre !
- Non... Brittany refusera.
- Brittany m'obéira, tout comme vous.
- Personne ne prendra mon sang, j'interviens. Je refuse.
- Parce que tu pensais que c'était une proposition ? C'est un ordre, il répète.
Disparu son ton posé. La colère barre son front et froisse son vieux visage.
- Je vais donner mes ordres et tout ça sera fait demain matin.
Il appelle les soldats qui me ramènent à ma prison. Derrière moi, Angel fait éclater sa colère. Il hurle sur tous les gens qu'il croise. Le colonel a ordonné qu'il soit enfermé également. Je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai fait la pire erreur de ma non-vie en venant ici.

ZombieWhere stories live. Discover now