GROSSE ANNONCE- publication d'un livre

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J'ai un jour lu un texte qui explicitait ce que je pense être la nature de la poésie: il s'agit d'une peau, de la peau même de l'artiste, qui se livre au regard des autres. Le poète se dénude. La nudité a différents effets en fonction du réceptacle, en fonction de la personne qui perçoit cette nudité. Elle peut relever de l'intime, elle peut révéler du sensuel, elle peut provoquer de l'angoisse, de la timidité, elle peut provoquer un malaise, elle peut blesser, outrager. Elle montre, malgré elle parfois, les cicatrices, elle montre les plaies, elle les panse, parfois, mais surtout elle les pense. Elle expose une part conséquente de l'intérieur de l'être. La peau, c'est l'identité même, tout comme l'écriture est pour le poète l'identité même, ou du moins une part conséquente de celle- ci. L'identité revêt pour moi une autre fonction qu'un marqueur sociétal. C'est métaphysique, transcendantal, c'est subversif, c'est à la fois l'essence même de ma personne, mon être brûlant sous les cieux, c'est une fougue et un être qui se fait bruyamment, qui se fait et se forge et se solidifie pour constituer une personne que j'ai construit avec efforts, avec douleur, avec souffrance. C'est un faire constant, c'est une action, qui se meut et ondule et ne laisse place, jamais, à l'arrêt, la pause, le temps fixé, cristallisé. Impossible de se laisser glisser, il faut s'activer, il faut bouger, il ne faut jamais prendre de respiration. On ne saurait laisser notre identité se faire d'elle même. Elle n'est pas sujet, elle n'est pas actrice, elle est moi autant que je suis elle, et je nécessite dans chaque instant de ma vie, d'agir et d'ainsi la faire. Mais, plus que cela, plus que ce faire, cette action incessante et in-arrêtable, in-atteignable, peut être, c'est une place dans la société, c'est politique, c'est une guerre avec un monde qui est tout sauf accueillant. Et à travers cela, cette peau, cette écriture qui me permet de poser sur le moi, sur la douleur, sur le feu que je suis, des mots alambiqués, biscornus, lourds et parfois légers... L'écriture est un outil de survie, un instrument, ma raison d'être. Elle est un à la fois un outil et une finalité, c'est à la fois un instrument que nous manions tous, que ce soit dans sa brutalité, dans sa valeur prosaïque, ou dans sa valeur intellectuelle, artistique ou rhétorique, l'écriture est un langage à multifacettes, et j'essaye au sein de cette œuvre d'explorer les différentes manières que j'ai d'illustrer mon âme sur le papier.

Qui suis-je? C'est une question que je me suis posé et que je me pose depuis que la conscience m'ait pénétré. C'est une question un peu biscornue, à demi-mâchée, recrachée par les affres de mon âme sur un papier- bulle que je m'efforce de faire exploser sous mes doigts recourbés. C'est une question feutrée, galvaudée, qui se veut plus grande qu'elle ne l'est. Grandiloquente, peu éloquente, elle est minime et magnime, comme un opulent désir de savoir l'impossible. Qui suis-je? Je m'affale sur mes mots pour ne pas y répondre, parce que me réduire aux confins d'une identité me parait d'un coup claustrophobe. Je me sens restreint entre les murs d'une maison qui s'écroule sur mon dos écrabouillé. Qui suis- je? Je suis un garçon.ne moyennement grand.e avec un corps qui n'est qu'évolution subversive et perpétuelle, butch déridée, lesbienne abusée, meuf/mec/être avec des cheveux d'une certaine couleur et les yeux d'un brun peu remarquable, quoiqu'on m'ait dit qu'au soleil ils s'apparentent au miel. Est-ce-que ça définit mon identité? Est-ce moi? Est-ce que cette brindille que je forme me définit? Est-ce-que je suis hormones, est- ce-que je suis socialisation primaire, est-ce- que je suis éducation, politesse, est-ce-que je suis muet, gentil, petit, toujours pour laisser plus de place, toujours pour plus m'effacer, toujours pour ne pas me faire remarquer par l'oppresseur? Est-ce-que je suis autre, est- ce-que je suis tout, est-ce-que je suis intégré dans ce rôle d'être masculin que je tente d'endosser, est-ce-que je veux même m'y glisser, réellement, est-ce-que je veux me fondre dans cette masse informe amorphe immonde d'une corporalité forcée? Est-ce- que je suis masculine, féminine, est-ce-que je suis corporalité politisée, est ce-que je suis corps, physicalité, est-ce que je suis sensée? Est-ce-que ces définitions ont un sens, dans ma tête toute secouée? Ne suis-je pas juste un être? Juste une essence, une âme, un truc, flottant, un peu vulgaire parfois, un peu amer souvent, un peu répugnant, dégoutant, marrant, peut être une fois de temps en temps? Mais je sais, qui je suis, sans savoir, sans les mots, sans le temps. Je suis enveloppe charnelle indéfinie, je suis âme brulante et déferlante, je suis feu, flammes, braises. Je suis et pour l'instant ça me suffit.

Une peau,
Des yeux,
Des vers pendant aux lèvres Entrouvertes
Pour ne pas dire béantes
Je suis un corps
Des formes
Tracées dans la terre

Je suis terre cuite, Je suis statue
Je suis élancé Cubique

Rond,
Je suis failles
Je suis simplicité 

Complexité Convergences et nécessité

Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis
Je suis.
Pour le moment, ça me suffit.

mots,
vers
poésie alambiquée littérature sublimée désarroi effacé faiblesses, et, parfois force, forcé
amer,
colère,
amour, peur et larmes, guerre
néant


C'est au péril/Peril/p-éril de moi-même que j'écris souvent. J'accouche sur la feuille des couches de moi — d'abord la peau, celle que l'on voit, celle qui touche l'extérieur, celle qui effleure les contours du dehors. Celle qui saigne, celle qui se déchire, celle qui se découpe, celle qui se modèle. Celle parsemé des fils bleus de mon menton éventré, en primaire, celle qui bientôt essuiera les aiguilles autour des auréoles de ma poitrine, celle qui toutes les trois semaines se fait percée par une aiguille, avec imprécision et la tremblote d'une jeunesse indomptée. Puis, sous l'épiderme, toutes les autres couches. Les tranches de soi encore protégées du dehors, mais à quel prix? La névrose. Les parts du moi qui encaissent les antidépresseurs, les anxiolytiques, la clope et l'ardeur de la vie. C'est au péril/Peril/pé-r-il- que j'écris souvent. J'écris comme un échappatoire/exutoire/exécution, j'écris pour purger les peines de mon être, pour éliminer chaque secousse de mon âme. Je ne sais pas si j'y parviens, pas réellement. Je tue mon intériorité par la corde de l'extériorité, je broie chaque sensation par la force de la poésie. Je ne sais pas si cette mort infâme est bénie par les cieux mais je sais que quelque part elle se fait dans une haine profonde de chaque fibre, chaque os qui me façonne. Mais ce n'est pas qu'un purgatoire. Ce péril est celui d'une apothéose. C'est un péril amplement politique/politisé/poétisé. Il reprend chaque spasme de ma personne chaque écho chaque cri chaque geste chaque hurlement chaque goutte de sueur de sang de bave chaque goutte d'alcool chaque mégot chaque rage chaque haine chaque amour chaque passion chaque sexe chaque baise chaque dévastation. C'est un péril d'une lesbienne d'un trans d'une gouine d'un pédé c'est un péril de morte insensible c'est le péril d'un.e queer désabusée c'est le péril de la fatigue de la terreur du désemparèrent. C'est un péril amplement cathartique catastrophique terrifiant inhibant affreusement choquant choqué chassé chaussé dans une colère une haine une passion. C'est le péril de celle celui cellui qui dit: vous ne m'aurez pas vous ne m'aurez jamais. Je mourrais avant que vous ne foutiez vos sales pattes sur moi. C'est le péril d'une meuf d'un mec d'une personne qui ne se laissera pas glisser marcher écraser pourri amoindri amoché attaché par l'Autre l'Homme l'homme Lui. C'est un péril poétique qui se veut créatif mais surtout qui porte en lui l'âme d'un créateur d'une créatrice de quelqu'un. Il est âme sagace. 


AchilleWhere stories live. Discover now