Chapitre 1

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Je fais un demi-tour instantané et réfléchis quelques secondes avant de prendre le courage de m'élancer dans la pièce. Que vais-je bien pouvoir lui dire ? Putain d'anxiété sociale... Saluuut moi c'est Louis et je suis trop tête en l'air pour m'être rendu compte que vous étiez ma cliente hahaha. Non. Trop direct... trop stupide. Puis désormais une idée me traverse l'esprit et hante mes pensées : que doivent penser tous ces gens qui passent sans cesse dans le couloir et me voient debout, le regard vide, perdu dans mes pensées. Pas une seconde à perdre, je rentre et j'improviserai bien quelque chose. J'ouvre brusquement la porte et pénètre la pièce sans trop tarder.

- Aaaah, Maître Martinez ? 

Je suis surpris d'un tel accueil. Est-ce que je la connais ?

- C- Comment vous sav..? 

Je n'ai pas le temps de lui poser la fin de ma question qu'elle m'interrompt déjà.

- Vous venez de me le dire à l'instant.

Je sens mon visage bouillir en réaction à la profonde honte que je ressens intérieurement. Je dois être aussi rouge qu'une tomate. Je pensais déjà être au fond du trou mais la vie a décidé qu'aujourd'hui je devais subir d'innombrables humiliations. Je n'ai définitivement plus rien à perdre alors autant jouer la carte de l'honnêteté.

- Je vous prie de bien vouloir m'excuser, je suis étourdi aujourd'hui. Asseyez-vous. 

Elle me sourit et hoche la tête en guise d'acquiescement. C'était peut-être bien un remerciement, je ne sais pas, je suis incapable de déchiffrer son langage corporel. Son sourire est si radieux et ses yeux ne se posent que sur moi. Mais je me dois d'être honnête avec moi-même, je suis seul dans cette pièce, personne d'autre à l'horizon. C'est alors normal qu'elle m'observe. Et ce sourire qui m'est destiné, il n'y a pas moins sincère qu'un tel sourire. Après tout, si vous confiez l'avenir de votre activité à quelqu'un, vous n'allez pas lui cracher à la figure. Enfin bref, il me faut me ressaisir et enfin commencer à faire preuve de professionnalisme.

- Pour être totalement honnête avec vous Madame ... 

Un blanc s'installe. Nouvelle désillusion, je n'ai même pas lu la première page du dossier, je ne la connais ni d'Ève ni d'Adam, comment je pourrais connaître son nom. 

- Decherf. Madame Decherf. Mais vous pouvez m'appeler Louisa. 

ENFIN, me dis-je. Enfin quelque chose de positif dans cette journée. Elle a heureusement coupé court à ce moment de silence qui aurait pu s'avérer si malaisant et insoutenable.

- Merci Louisa, vous pouvez m'appeler Louis, ça sera plus agréable. 

Je m'assois à mon tour en lui faisant face tout en ouvrant le bouton de ma veste.

- Je ne vais pas passer par quatre chemins Louisa, votre dossier vient de m'être transmis, je n'ai pas pu en prendre connaissance. Pouvez-vous m'en dire plus sur votre société et le litige qui vous impose d'être en ces lieux ? 

- Ce n'est pas ma société, je suis la liquidatrice judiciaire qui a été nommée le temps de la procédure. Le litige est assez complexe mais ... 

Mon regard se décolle du dossier et se porte dans ses yeux. Son iris est d'un bleu si clair que je pourrais m'y noyer. Ses longs cils sont d'un noir mat qui indique qu'ils sont imbibés de mascara. Cependant, son teint est naturel, rien ne porte à croire qu'elle est plus maquillée que ça. Mais comment peut-elle être aussi sublime au naturel ?

- ... donc c'est très problématique au niveau du PSE.

Le terme de PSE me ramène à la réalité, elle est ma cliente et je suis son avocat. Je n'ai pourtant rien ouï à ce qu'elle a débité. J'espère au moins que mon subconscient a eu la décence de bêtement hocher la tête pour feinter que je fus à son écoute. Je prends une gigantesque inspiration, en étant bien certain qu'elle m'entendra expirer, fais mine de réfléchir en laissant planer mon regard tout autour de la pièce et me replonge finalement dans ses yeux pour m'adresser à elle. Je vais lui répondre avec tout le sérieux et la compétence que je peux lui offrir pour le moment.

- Ça m'a tout l'air d'un problème assez sérieux. Ce que je vous propose, Louisa, c'est de me pencher à 100% sur votre dossier, établir une stratégie et revenir vers vous dès qu'elle sera fin prête afin que nous en discutions. Avez-vous un numéro de téléphone sur lequel je peux vous joindre ? 

- Non. Je préfère largement les entrevues physiques aux coups de fil intempestifs et inopérants. 

Le ton qu'elle a employé était d'un froid glacial. Je découvrais une toute autre personne. Ce n'était pas la Louisa qui était devant moi depuis maintenant dix minutes.

- Je vous taquine Louis ! Notez ! 07 89 ... 

Quel humour... Elle se lève de sa chaise et enfile son trench. Qu'elle est élégante. Je lui coupe la route afin de lui tenir la porte en bon gentleman. Elle devrait filer droit mais se dirige vers moi et... me fait la bise. Drôle de façon de faire pour un rendez-vous professionnel. Je ne suis pas convaincu que ça soit très déontologique mais passons.

- À bientôt Maître, me lance-t-elle en s'en allant.

Je ne réponds pas. Un frisson me parcourt le corps. Elle m'appelait Maître Martinez, puis Louis. Pourquoi m'appeler Maître au moment de partir ? Somme toute, pas le temps de réfléchir, j'ai du pain sur planche. Je retraverse le couloir dans une toute autre disposition, la confiance retrouvée. J'arrive enfin à mon bureau, mon purgatoire. Mais cette fois-ci, aucune once de léthargie ou de fainéantise, j'ai beaucoup à faire. En l'espace de quelques heures, je boucle la lecture du dossier. Les idées de multiples stratégies à mettre en place me parcourent l'esprit par dizaines. Ai-je déjà été si inspiré ? Je ne m'en rappelle pas.

Je jette un coup d'oeil furtif à l'horloge. L'heure du déjeuner est largement dépassée maintenant. Je n'ai même pas faim, autant pousser jusqu'au dîner tant que je suis si précautionneux et productif.

Après ce qu'il me semble être une quinzaine de minutes, je me relève enfin avec la sensation géniale d'avoir mis un terme à mon objectif quotidien. Je regarde cette fois le coin inférieur droit de mon ordinateur qui m'indique qu'il est 16 heures.

J'ai assez travaillé pour aujourd'hui. Je vais en profiter pour rentrer tôt, peut-être faire la vaisselle et enfin savourer une vraie soirée. En montant dans ma voiture une notification allume l'écran de mon téléphone. Je pense alors : Louisa, j'avais oublié, je vais lui faire part de mes avancées.


Bonjour Louisa,

Je vous contacte concernant le dossier de la Société WTR. J'ai longuement étudié le dossier et en ai ressorti trois stratégies qui me paraissent tenir la route.

Je reste à votre disposition pour convenir d'un rendez-vous, puisque vous préférez les entrevues physiques. 

Bien à vous,

Maître Louis Martinez. 

MienneWhere stories live. Discover now