Chapitre 9

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Je sais toujours quoi répliquer. J'aime penser que, si le ciel me tombait sur la tête, je trouverais le temps de lui dire quelque chose de désobligeant juste avant qu'il ne m'écrase. Mais là, tout ce qui me vient, c'est :

- Quoi ?!

- Je suis un robot, répète Ross.

Je l'examine. Il n'a pas l'air d'un robot. Pas du tout.

Et pourtant...je le revois jeter le zoonite contre le mur comme s'il ne pesait rien. Je revois sa mine fermée, inexpressive, tandis qu'il le frappait. Je nous revois dans cette chambre au QG de l'Organisation, quand je lui ai explosé le nez et qu'il n'a pas bronché.

Je m'avance et lui pince la joue. Il recule précipitamment, sourcils froncés.

- Mais qu'est-ce que tu fabriques ?

- Je vérifie.

- Tu vérifies quoi ?

- Que tu es bien un robot.

- Puisque je te dis que j'en suis un !

- Prouve-le.

Il ouvre la bouche pour rétorquer, se ravise et commence à remonter sa manche.

- Qu'est...

J'oublie la suite de ma phrase quand son bras se disloque. Sous mes yeux horrifiés, le canon d'un pistolet laser perce la peau tendre de son coude. Ross se retourne et tire une rafale dans le mur.

- Ça te suffit, comme preuve ?

Je le regarde bêtement tandis que l'arme disparait dans la chair et que son bras se remet en place. Il reste toujours une marque au creux de son coude, cependant, et un filet rouge coule sur sa peau pâle.

- Tu saignes. Comment tu peux saigner si tu es un robot ?

Il rabaisse brutalement sa manche et sourit-un sourire amer.

- Tu m'as confié ton secret, je t'ai confié le mien. Si tu veux des explications, ça va aussi dans les deux sens.

Je le fusille du regard, mais ne dis rien. Il y a une différence entre lui parler de mon pouvoir pour le bien de notre mission, et lui confier mon enfance dans les laboratoires d'Akhilleús.

- Dis moi au moins pourquoi, si tu as un pistolet laser dans le bras...

- Les deux bras, en fait.

- ...tu utilises ce machin.

Je désigne la vieille arme à feu qu'il a toujours en main.

- C'est justement parce que j'ai des pistolets laser dans les bras.

- C'est une logique un peu tordue.

- Je vais essayer de faire simple, histoire que tu comprennes. J'ai une force surhumaine, suffisante pour exploser un mur si je le voulais. Je ne tombe pas malade, cicatrise de n'importe quelle blessure en quelques secondes, en bref, je suis quasiment immortel. J'ai une vision bionique, je peux voir à travers les vêtements, les bâtiments...

- Tu vois à travers les vêtements ?

- Non, enfin je pourrais, si ça m'intéressait...

- Espèce de pervers...

- Je ne m'en sers jamais !

- Tu penses que je vais te croire ?

J'entends pratiquement ses dents grincer.

- Ce que je voulais dire avant que tu m'interrompes, Jackson, c'est que je suis plus ou moins invincible. Les seules limites que j'ai sont celles que je m'impose.

Il tapote son pistolet comme on tape dans le dos d'un vieil ami. Je le regarde, incrédule.

- Sérieusement ? Tu utilises cette antiquité parce que sinon, quoi ? Ta vie est trop facile ?

- Tuer est trop facile. Et ça ne devrait jamais l'être.

- Tu as raison, fis-je, sarcastique. Mieux vaut mourir lentement avec des bouts de métal enfoncés dans le corps qu'être tué d'un coup par un tir laser...

- Tu m'as posé une question, je n'y peux rien si tu n'aimes pas la réponse. Est-ce qu'on peut revenir à notre mission ?

Je voudrai lui arracher des explications. Mais le zoonite est toujours allongé sur le sol, gémissant de douleur, et je suis plus intéressée par ses secrets que par ceux de Ross.

Je m'accroupis à côté du blessé. Une pointe d'appréhension m'envahit. Cela fait cinq ans que je n'ai pas utilisé mon pouvoir, et même alors, je ne le maîtrisais pas vraiment. Et si je n'arrivais plus à m'en servir ?

Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

Je ferme les yeux, pose le bout des doigts sur la tempe de l'homme-tigre. Mes craintes étaient injustifiées. Dès que ma peau entre en contact avec la sienne, mon pouvoir s'anime. Un battement de cœur plus tard, je suis dans sa tête.

Un gratte-ciel noir, un immense logo blanc. Le siège de MétaLab. C'est mon premier jour ici.

Je déplace des chariots. J'empile des plateaux de nourriture dessus, et je les apporte aux enfants.

Les enfants...Une petite vingtaine, enfermés dans un dortoir grillagé. Faméliques, pâles, apeurés.

J'ai eu une promotion. Je ne déplace plus les chariots, je déplace les enfants. Je les traine jusqu'à la salle d'opération, on ne me laisse pas rentrer. Je les dépose devant, je vois la porte se refermer sur leur visage terrifié. Parfois, ils ne restent à l'intérieur que quelques minutes. D'autres fois, ça dure des heures. J'attend, je les écoute hurler. Puis je les ramène au dortoir.

Je m'y habitue.

Nouvelle promotion. On me fait rentrer dans la salle d'opération. On me montre des seringues, des seringues remplies d'un liquide vert fluorescent. On me dit que c'est du Styx, je ne sais pas ce que c'est, on me dit que le nom vient du grec et qu'on va me montrer. Puis on m'enfonce une aiguille dans le bras.

J'ai mal. J'ai si mal. Et puis...

Je suis un tigre.

Toute ma vie, j'ai eu cet animal qui sommeillait en moi, j'ai été tiraillé entre ses instincts et mon humanité, entre sa puissance et ma faiblesse. A présent...je peux devenir lui, complétement, m'abandonner à sa rage, à sa sauvagerie. Je me sens invincible.

Je ne transporte plus ni chariots ni enfants. On m'envoie à l'extérieur. Je dois récupérer des produits chimiques, revendre des mallettes. Des mallettes noires remplies de seringues. Les gangs de Trekyon payent cher pour en récupérer.

Le produit qu'on revend n'est pas celui qu'on m'a injecté, c'est une autre version du Styx. Il fonctionne de la même manière, permettant aux humains de courir plus vite et d'être plus forts, aux zoonites de se transformer ; cependant, il n'agit que pendant quelques heures.

Encore une promotion. En plus des ventes de seringues et de l'achat de matériel, je dois me procurer des enfants. Les orphelins sont nombreux à Trekyon, je les attrape dans les ruelles et je les ramène à MétaLab. Ils meurent souvent lors des expériences, alors il en faut souvent de nouveaux, pour qu'Akhilleús 2 puisse continuer.

J'aime ça. L'adrénaline qui me parcourt quand je pourchasse les gosses dans les rues, mes muscles de tigre qui roulent sous ma fourrure. Je ne fais que suivre les ordres, rien de tout cela n'est de ma faute, et si ça me plaît de les entendre hurler, eh bien, où est le mal ?

Je mets quelques secondes à me rappeler où je suis, qui je suis. Mon cœur cogne dans ma poitrine comme s'il cherchait à en sortir. Les souvenirs de l'homme-tigre, sa personnalité s'accrochent à mon esprit.

- Cass Jackson, me rappelé-je. Je m'appelle Cass Jackson.

Mon regard tombe sur le visage du zoonite. Une fine pellicule de sueur recouvre sa peau rayée.

Si ça me plaît de les entendre hurler, eh bien, où est le mal ?

Je ne réalise que j'ai dégainé mon pistolet qu'en voyant sa tête exploser sous mon tir.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now