Chapitre 2.1 : Samantha

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Soupirant profondément, je laisse la quiétude des lieux m'envahir. Le meuglement des bovins accompagne cette pause bienvenue tandis que le léger vent de printemps suisse balaie mes cheveux. Des mèches se collent à mon gloss et je les chasse en pestant in petto contre cette malédiction qui veut que chaque moment de paix que je m'accorde soit gâché par des éléments prosaïques rattachés à la condition humaine. Admirons cependant que, pour une fois, il ne s'agit pas d'un besoin vil d'uriner. Une autre de mes malédictions.

Face à moi se trouvent les bâtiments de la station de recherche pour les sciences végétales de Lindau. Les longs baraquements rectangulaires abritent l'élite des études liées à l'environnement. Rattachée à l'institut des sciences agronomiques de Zurich, cette antenne regroupe une dizaine de laboratoires, des serres, des parcelles agricoles et des animaux. C'est un terrain de jeu idéal pour les biologistes que nous sommes. D'ailleurs, après avoir terminé un cycle de cours à l'université, c'est un plaisir pour moi de retrouver mon fief. Assistante-enseignante, chercheuse, biologiste salariée de l'institut, mes casquettes sont multiples. Pourtant, il y en a une que je ne parviens pas à revêtir et qui m'apporte doutes et tourments : celle de thésarde.

Débutée il y a plus d'un an maintenant, elle m'occasionne le syndrome de la page blanche. Ma directrice, Nina, ne me harcèle plus depuis des semaines. Je crois qu'elle a baissé les bras. Et si elle en est là, c'est qu'elle n'a sûrement plus aucun espoir de me voir trouver la révélation qui va me permettre de m'y remettre. Il faut dire que j'ai longtemps caché mes difficultés à coups d'articles parus dans des magazines scientifiques de renoms, de colloques dispensés à travers le monde, mais également d'ateliers que j'anime auprès d'enfants dans les écoles de Zurich en plus de mes enseignements à la fac.

Une suractivité salvatrice pour éviter de ruminer, mais aussi pour noyer le poisson quant à au manque d'avancement de ma thèse. Bien sûr, mon étude a débuté : mon laboratoire et sa serre fourmillent de travaux en cours. Mais aucun ne pourrait conduire à une analyse universitaire digne de ce nom. C'est pour cela que j'ai décidé de mettre toutes mes autres tâches en stand-by et de venir passer plusieurs semaines à Lindau. Dans cet endroit isolé, avec uniquement des chercheurs et des étudiants autour de moi, j'espère retrouver mon feu intérieur.

La première étape consistera en un long et fastidieux état des lieux de tous mes projets amorcés à la station. Entre ceux qui vivent leur vie sans moi, ceux que j'ai délégués à quelques collègues triés sur le volet, qui, eux, rédigent de vraies thèses, et ceux qui ont été avortés, mon chemin risque d'être semé d'embuches. Mais je gage de parvenir à tirer quelque chose de ces reliquats afin de finir cette foutue thèse et d'être enfin reconnue par un titre officiel : Docteure spécialisée en études des agroécosystèmes et des forêts. Mon groupe de travail, le Grassland Science Group, rassemble une vingtaine de chercheurs et vise à mettre en lien les écosystèmes terrestres et leurs réactions face à leur environnement. Tout ceci a des répercussions sur l'écologie, mais aussi l'alimentation animale et humaine.

Des valeurs qui m'animent particulièrement et qui m'ont menée exactement là où je me trouve aujourd'hui. C'est d'autant plus frustrant de me retrouver dans cette impasse réflexive. Tant d'idées, tant d'envies, tant de moyens et d'opportunités, et je ne parviens pas à saisir un axe de recherche précis. Je voudrais tout accomplir et je finis par m'enliser dans des méandres d'articles à étudier, de thèses à éplucher, d'expériences mondiales en cours à surveiller. Rien de concret. Et lorsque j'arrive enfin à établir un protocole et que je le mets en œuvre, je le délaisse. Ma motivation s'enfuit aussitôt et le vide la remplace. Comme si rien de tout ceci ne s'avérait suffisamment exaltant. J'ai perdu le feu et cela m'inquiète, car ma vie ne tourne qu'autour de la recherche. Qui suis-je si je n'ai plus cela ?

Bienvenue au Sweetenstein - Tome 3 [Éditée]Where stories live. Discover now